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mardi, décembre 21, 2004

L’Homme à la Tête de Chien

Le dimanche est le jour de repos de la heya, sans entraînement matinal. Aucun de mes camarades de chambrée n’était autour de moi quand je me suis couché la nuit précédente et, lorsque je me réveille, tous à l’exception de Moriyasu – qui n’est toujours pas rentré – sont plongés dans un profond sommeil.

En bas, une poignée de lutteurs sont avachis dans la salle commune devant la télévision. Mitsui, un homme au visage serein et réfléchi, a mis des lunettes pour lire une bande dessinée, assis contre le mur. Deux autres lutteurs sont assis côte à côte, presque blottis l’un contre l’autre, et bricolent chacun leur portable. Les frères Takemura, Tatsuya et Hiroki, dévorent un tas de Mc Muffin et quelques boîtes de Mc Nuggets en attendant de passer à table. Batto met en place une corde à linge dans la salle d’entraînement, puis y suspend le kesho mawashi du sekitori pour l’aérer.

Les Kesho mawashi sont des mawashi de cérémonie avec un tablier, que portent les haut gradés pendant les tournois. ils sont en soie, faits main, coûtent des milliers de dollars et sont généralement offerts par les oyakata ou des groupes de supporters. Le kesho mawashi que Batto a suspendu en face de la salle commune a comme l’image d’une mascotte portant un marteau brodée dessus. Le shikona du sekitori, Ishide, est brodé à droite.

Je demande à Hiroki ce que font les lutteurs pendant leur jour de repos. « On dort, on se baigne, on se repose… des trucs comme ça » me dit-il

Comme j’ai pas mal dormi les deux derniers jours, aidé en cela par l’apparente absence de café dans la heya, et que je sais que personne ne me laissera l’aider aux tâches ménagères, même si j’insiste, je décide d’aller me balader l’après midi. J’ai besoin d’un peu d’air, n’ayant quasiment pas quitté la heya depuis mon arrivée. Donc, après le déjeuner, je prends le train vers Shibuya, où je peux enfin goûter à un café tant mérité et recevoir mes e-mail dans un cybercafé.

J’aimerais bien prendre également mon dîner dehors – manger indien, ou bien une pizza, quelque chose qui n’apparaîtra jamais sur le menu de la heya. Mais j’ignore quand les lutteurs attendent mon retour et craint que de rester dehors trop longtemps puisse être mal perçu. Je me mets donc sur le chemin du retour, prenant cette fois mon train à la station de Harajuku, ou je traverse la foule du dimanche après midi, des métalleux, des gothiques, ou des lolitas perverses, et des touristes faisant la queue pour les photographier.

Le dîner à la heya, s’avère en fin de compte une agréable surprise : coquilles Saint Jacques grillées, avec quelques plats d’accompagnement. Après avoir dîner et m’être une nouvelle fois vu refuser mon aide pour la vaisselle, je monte pour taper quelques notes.

Peu après, Tatsuya vient m’annoncer que c’est l’heure du thé. Je le suis en bas, où nous passons devant le sekitori, accompagné de Batto, qui se rendent à la salle de bains.

Je suppose tout d’abord que le thé est une tradition du jour de repos et m’attends à voir toute une assemblée de lutteurs, tasse à la main, dans la salle commune. Au lieu de ça, on me tend une tasse de café et un beignet, et me dit de m’asseoir par terre. Apparemment, ce n’est l’heure du thé que pour moi. Dans un petit accès de paranoïa, je m’imagine qu’ils espèrent me voir boire un café, rester éveillé toute la nuit et dormir pendant l’entraînement demain matin, leur épargnant l’embarras de m’habiller en mawashi et de m’emmener sur le dohyo avec eux. Mais la vérité doit être tout simplement qu’ils se sont figurer que m’offrir un café et un beignet serait un geste sympa, ce que c’est d’ailleurs.

Je m’assied avec mon café et mon beignet, et regarde un programme télévisé sur des enquêteurs traitant des légendes urbaines. Dans l’épisode, ils vérifient la véracité de l’histoire d’une dame qui a passé son chat au micro-ondes et doivent découvrir si la nourriture brûlée donne ou non le cancer. Soudain, le sekitori entre, une serviette jaune autour de la taille, suivi de Batto, le caleçon relevé à la manière d’un string.

Tout le monde se lève à l’entrée du sekitori. Je regarde vers Ishiwaka, celui que Batto a appelé l’Irakien. Ce dernier secoue légèrement la tête, me faisant signe que je n’ai pas à me lever. Le sekitori tend une boîte emplie de papiers à Mitsui, puis se met devant le réchaud pour quitter sa serviette pour une paire de shorts. Un autre lutteur, grand, la mâchoire carrée, nommé Matsunaga, se balade entre moi et la télévision. Le sekitori le remarque. « pousses toi de là » aboie-t-il à son attention.

Plus tard, assis à côté de Mitsui, le sekitori discute avec lui, me semble-t-il de ce qu’ils pensent que j’arrive à comprendre du programme télé. C’est bien ça.

« Combien comprends-tu de l’émission ? » me demande le sekitori.
« Environ 60 pour cent »

Il bouscule Mitsui. « Je t’avais bien dit qu’il ne comprend pas tout ». Puis il pointe Mitsui du doigt et me dit : « Il n’en comprend que 40% », déclenchant un rire général. Puis il montre Kitamura, alors en train de faire sécher la serviette du sekitori devant le réchaud. « Lui, que 15% ».

Après les éclats de rire, il reste près de Mitsui quelques moments, avant de se lever pour faire une prise enserrant la tête de Fuchita, lequel se met à tousser et à défaillir, le visage tout rouge. Après qu’il a desserré son étreinte, Fuchita continue de longs moments à respirer péniblement.

Maintenant, le programme télé s’intéresse à l’homme à tête de chien, qui est apparemment une légende urbaine très connue au Japon. La caméra zoome sur un visage momifié d’homme à tête de chien, qui s’est révélé être un canular. Le sekitori montre le visage de Kitamura, indiquant une ressemblance ressentie avec la mine de l’homme-chien. Kitamura ne fait pas attention, et tout le monde rit donc sous cape jusqu’à ce qu’il lève la tête pour se rendre compte qu’il est l’objet d’une autre des farces du sekitori.

L’assemblée peut alors partir encore une fois dans un éclat de rire gras et général.

APRÈS: Le Mawashi