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mardi, avril 05, 2005

Les combats de Kazuya



J'ai passé deux semaines avec les lutteurs de la Hanaregoma beya, dans le quartier Ogikubu de Tokyo, et ce le long de la période précédant le Tournoi de Janvier 2005. Une fois le tournoi entamé, je suis revenu dans la heya pour ressentir en quoi la vie peut y être différente durant des périodes de compétition. Kazyua Hayeshida - l'un des benjamins de la heya - m'a laissé le suivre depuis l'entraînement matinal à la heya jusqu'aux vestiaires du Kokugikan après le combat. Jy ai pris ces clichés.

Lien vers les clichés : http://www.jacobadelman.com/photo/kazshots/

mardi, mars 15, 2005

Une après-midi au Tournoi

Quelques combats après la victoire du Sekitori en ce premier jour du Tournoi de Janvier, les affrontements de juryo s’achèvent. Je peux constater sur mon programme imprimé comme sur les panneaux lumineux suspendus en haut des côtés est et ouest de la salle, que les lutteurs les plus haut gradés, les makuuchi, sont sur le point de combattre. Selon le programme, la cérémonie d’entrée sur le dohyo, au cours de laquelle ils doivent être présentés dans leur ensemble, doit bientôt commencer.

Mais au lieu de cela, un message est diffusé sur les haut-parleurs que je n’arrive pas à bien saisir, et l’hymne japonais lui succède. Tout le monde se lève, et j’en fais donc de même. Se lever pour l’hymne national au cours d’un événement sportif est quelque chose de somme toute banal, mais je remarque alors que tout le monde a les yeux levés vers l’avant de la salle. Levant moi-même les yeux, m’attendant à découvrir le drapeau japonais.

Au lieu de ça, c’est l’Empereur et l’Impératrice du Japon que je vois, assis au balcon au dessus de l’entrée nord, en train de répondre élégamment à la foule. Le grisonnant couple impérial sourit et salue, comme deux gentils aïeuls, tandis que l’hymne se poursuit, et je me trouve particulièrement touché par cette vision. Je n’ai encore jamais vu de roi ou de reine en vrai, sans parler d’un empereur ou d’une impératrice.

L’hymne finie, le couple se rassied et le tournoi suit son cours, avec une file de quelques vingt lutteurs faisant leur apparition sur la hanamichi côté ouest. Ils montent sur le dohyo, se plaçant tout autour du cercle à mesure que leur noms sont égrenés. Personne ne reçoit autant d’applaudissements que Takamisakari, le grand et assez fin lutteur qui est la star de pubs pour un porridge de riz parfumé au thé, et est réputé pour ses attitudes très mécaniques et expressives d’avant combat, qui lui ont valu le surnom du « Robot ».

Puis les lutteurs entrent sur le donyo et effectuent une série de shiko à l’unisson, puis reforment un cercle autour du dohyo, face au public, à mesure que leurs noms sont appelés. Une fois l’opération achevée, ils se retournent, frappent dans leurs mains, lèvent un bras, soulèvent leurs kesho mawashi, semblables à des tabliers, en un geste semblant un peu obscène, comme s’ils soulevaient leur jupe. Puis ils lèvent leurs deux bras vers le ciel et quittent le dohyo (je ne suis pas sûr de la signification exacte de toute cette gestuelle : comme beaucoup de choses que j’observe dans le sumo, chaque essayiste a sa propre interprétation).

C’est ensuite au tour les lutteurs de l’est d’arriver par leur hanamichi sur le dohyo. Parmi ceux-ci, celui qui remporte les faveurs du public est Kaio, l’ozeki dont beaucoup espèrent qu’il va rejoindre le Mongol Asashoryu au rang de Yokozuna, ou Grand Champion.

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Tout comme leurs homologues de l’ouest, les lutteurs de l’est ont dans leurs rangs quelques Blancs. Je peux reconnaître le Bulgare Kotooshu à son kesho mawahi, qui porte le mot « Bulgarie » dans le logo japonais de la marque de yaourts qui porte ce nom.

Les kesho mawashi sont en fait une survivance du sumo de l’ère Edo. Quand les guerres entre factions rivales de propriétaires terriens prirent fin à cette période, quelques uns poursuivirent le combat dans le sport en se faisant les mécènes de sumotori et en les envoyant affronter les lutteurs de leurs adversaires. A cette époque, les kesho mawashi que les sumotori arboraient portaient les blasons de leurs mécènes samurai.

De nos jours, toutefois, les lutteurs reçoivent leurs kesho mawashi, dont la fabrication coûte plusieurs milliers de dollars, de firmes sponsors ou de « groupes de soutien » composés de fans. Le kesho mawashi du Sekitori, par exemple, est orné d’un aigle, dont les lutteurs à la heya m’ont dit qu’il est le symbole de son groupe de soutien basé à Saitama. Le kesho mawashi de Takamisakari, lui, porte le logo de la Nagatanien, pour lesquels il tourne des publicité pour le porridge au riz. Et la société des yaourts Bulgarie sponsorise apparemment Kotooshu.

Après le départ du deuxième groupe de lutteurs, Asashoryu fait son entrée, accompagné de deux lutteurs assistants, dont l’un est porteur d’un katana, et d’un gyoji dont l’éventail porte un pompon. Le yokozuna porte aussi un kesho mawashi, mais le motif en est occulté par les éclairs de papier qui pendent de dessous la large corde nouée autour de sa taille. Il effectue ses shiko pour le public, pratiquement au ralenti, avant de quitter le dohyo.

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Puis c’est au tour d’une brève cérémonie de remise des prix au profit des lutteurs ayant remporté un tournoi ou tout autre distinction durant les compétitions de l’an passé. Asashoryu se représente sur le dohyo dans un simple mawashi de soie, et se voit remettre un trophée gigantesque par un vieil homme en costume de ville, visiblement soulagé de transmettre le lourd fardeau. Puis les portraits géants de Kaio et Asashoryu – peints en l’honneur de leurs victoires – que j’ai vus la veille à l’extérieur du Kokugikan sont dévoilés. Ils ont été suspendus bien au dessus des tribunes à la suite des portraits des lutteurs vainqueurs des précédentes années.

Après quelques autres remises de prix, les makuuchi entament leurs combats. Ils arrivent par la même hanamichi que les lutteurs de rang inférieur, mais sont précédés de jeunes assistants qui placent des coussins de soie à leur attention. Ceux qui remportent leur combat restent sur place après le départ de leur adversaire et se voient offrir de fines enveloppes d’argent que le gyoji leur tend à l’aide de son éventail.

Avant certains matches, quelques jeunes yobidashi en vestes jaunes font le tour du dohyo, porteurs de bannières publicitaires. Les sociétés mécènes offrent une prime supplémentaire au vainqueur du combat, une somme d’environ 500 $ pour chaque bannière. Les lutteurs reçoivent également cet argent sur l’éventail du gyoji ; plus il y a de bannières avant un match, plus il y aura d’enveloppes sur l’éventail à la fin du combat.

A l’instar des publicités sur les chaînes d’informations aux Etats-Unis, la plupart des bannières concernent des médicaments, des produits de régime ou des hôpitaux. Et un regard circulaire dans la salle me montre que la démographie du sumo est similaire à celle des publics de chaînes d’informations américaines : les vieux sont largement plus nombreux que les jeunes, bien que les spectateurs apparemment d’origine étrangère, qui sont nombreux, sont plutôt jeunes.

Avant le combat de Takamisakari contre Roho, le grand Russe au visage de tueur grêlé par la petite vérole, neuf yobidashi font, le tour du dohyo, portant tous une bannière à l’honneur de la Nagatanien. C’est le plus grand nombre de bannières jusque là apparu sur le dohyo, et la foule gronde son enthousiasme durant le tour des yobidashi, tandis qu’un annonceur vante les mérites de la compagnie de porridge.

Lorsque Takamisakari apparaît sur la hanamichi, le public l’applaudit fortement et crie son nom. Il sourit alors humblement et s’assied sur le coussin que son assistant lui a placé en attendant que le combat précédent ne s’achève.

C’est maintenant à son tour de combattre, et il monte sur le dohyo tandis que les porteurs de bannières s’en vont. D’abord, il prend une attitude tranquille, sautillant gentiment dans son coin pour s’échauffer et balançant un peu de sel. Il retourne au centre du cercle pour faire face à Roho pour la première fois, puis retourne dans son coin et se met alors en action.

Tout d’abord, il balance ses énormes bras, expirant avec tant de violence que je peux entendre l’air quitter ses poumons. La foule est en délire, et il lui en donne encore : il se donne des baffes à lui-même comme un malade, frappe sa poitrine de ses poings, et effectue les shiko robotisés qui sont devenus sa marque de fabrique. Lorsque enfin il balance une énorme poignée de sel sur le centre du cercle sacré, la foule explose.

Je me prends moi-même au jeu. C’est sans conteste la préparation d’avant match la plus passionnante que j’ai vu de toute la journée. Avant, quand je ne connaissais encore le sumo que par l’entremise de la télévision, je trouvais ces gestuelles d’un ennui mortel et je délaissais en général les retransmissions en direct au profit des résumés proposés à la fin, qui ne passaient que les combats eux-mêmes.

Mais ici, au tournoi, c’est quelque chose de fondamentalement différent. Toutes ces choses prises en même temps – les lutteurs qui tentent de s’hypnotiser mutuellement, les cris de la foule, le sel volant dans les airs sous les sunlights – donnent un ensemble absolument exaltant. Il en est de même au base-ball : à la télévision, c’est insupportablement ennuyeux, au stade, toutefois, la tension que l’on y ressent rend les matches passionnants.

En fait, avec le temps, ces préparations d’avant match ont été progressivement abrégées pour des soucis d’audience. Jusqu’au début du siècle, elles pouvaient s’éterniser au bon vouloir des lutteurs. Quand les combats commencèrent à être retransmis à la radio, les gestuelles furent limitées à dix minutes. Aujourd’hui, avec des horaires de retransmissions télévisées à respecter, les lutteurs n’ont que quatre minutes pour s’étirer et lancer le sel (plus de 50 kilos chaque jour).

Dans la plupart des cas toutefois, quatre minutes sont toujours plusieurs centaines de fois le temps de combat effectif des lutteurs dans bien des cas. Le combat de Takamisakari face à Roho, d’environ une minute, est une éternité au regard de bien d’autres combats qui ne durent que quelques secondes. Les deux lutteurs se choquent au centre du cercle, attrapent le mawashi de l’autre et se poussent, millimètre par millimètre, jusqu’à ce que Roho ne tire Takamisakari vers l’avant et ne le sorte du dohyo par une prise acrobatique. Takamisakari quitte l’enceinte l’air vraiment contrarié ; en fait, il soupire bruyamment, ce que les lutteurs ne font en général pas. Roho, pendant ce temps, rentre chez lui avec l’argent que le sponsor de Takamisakari avait misé sur ce dernier.

Quelques combats plus tard, quand vient le tour de Kaio de combattre, encore plus de porteurs de bannières arpentent le dohyo : 10 cette fois-ci. L’adversaire de Kaio, Iwakiyama, a une mâchoire et un front proéminents qui le font ressembler à Jay Leno (ndt : animateur de talk-show célèbre aux Etats-Unis), sauf que son visage paraît aplati de s’être enfoncé trop souvent dans les têtes de ses adversaires. Au début du combat, les chances paraissent équilibrées, mais lorsque son adversaire perd pied au bord du dohyo, Kaio le repousse avec aisance. Iwakiyama s’écrase quasiment du dohyo surélevé.

Les encouragements atteignent un nouveau sommet. Voir Kaio s’avancer vers une possible promotion au grade de yokozuna est sans conteste ce que les fans sont venus voir. Le combat suivant, qui est aussi le dernier, et qui voit Asashoryu se défaire de son compatriote Mongol Hakuho, en paraît presque anecdotique.

dimanche, mars 13, 2005

Additif sur le Sekitori

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J’ai été heureux d’assister à la victoire du Sekitori. Ayant vécu sous le même toit pendant presque deux semaines, je me sens presque redevable envers lui, en dépit des mauvais traitements qu’il inflige aux autres lutteurs de la heya. Mais j’ai été également assez surpris du soutien populaire dont il bénéficie de la part des autres fans. Pourquoi a-t-il reçu tant d’encouragements ?

J’ai reçu une réponse sous la forme d’un e-mail d’un fan britannique qui me dit s’entraîner au sein de la même heya amateur du nord-est de Tokyo qui a vu le Sekitori faire ses débuts dans le sumo. La plupart des lutteurs sont originaires de milieux ruraux, à l’écart des grandes villes de l’île principale du Japon ou sur ses côtes nord ou sud. Mais le Sekitori est de la préfecture de Saitama, qui referme pour l’essentiel des cités-dortoirs pour les citadins travaillant à Tokyo.

« En gros, c’est le régional de l’étape pour les fans », m’écrit cet Anglais.

David Shapiro, le commentateur de sumo américain, m’a également appris que le Sekitori est en train d’effectuer un come-back. Je savais que le Sekitori effectuait son deuxième tournoi en tant que juryo, mais j’ignorais qu’il avait déjà atteint ce rang – avant d’en être déchu. Shapiro me dit que le Sekitori souffre de diabète, et qu’il a perdu son rang en raison d’une condition physique affaiblie par cette maladie.

Mais, ayant recouvré une meilleure santé, le Sekitori est désormais sur une pente ascendante. « C’est un gars en or, très prometteur et avec un grand sens moral dans son métier », me dit Shapiro.

Le Sekitori a en fait abandonné son précédent shikona et pris l’actuel, Ishide, dans un souci de se démarquer de sa période de maladie et de défaites. Quelques personnes m’affirment même que s’il poursuit son ascension – ce qui pourrait bien lui arriver si ses performances sont suffisantes sur ce tournoi – il se pourrait bien qu’il change à nouveau son nom.

« Un nom comme ‘Ishide’ est banal à mourir » m’a expliqué Miki pendant le repas que j’ai pris avec lui la veille du tournoi. « c’est comme s’appeler ‘Miki’ ».

En fait, le Sekitori aura finalement combattu suffisamment au cours du tournoi pour atteindre le rang de maegashira – gagnant neuf de ses quinze combats – mais il combat toujours au tournoi d’Osaka sous le nom d’Ishide.

APRÈS: Une matinée au Tournoi

mercredi, mars 09, 2005

Les combats des sekitori

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Après notre départ des vestiaires des lutteurs, Miki m'emmène à la salle de presse, dont les murs sont teintés de jaune. Dans des temps plus reculés, avant que la cigarette ne fut bannie de l'enceinte du Kokugikan, il n'y avait sans doute que les fumeurs les plus invétérés pour oser y pénétrer. Des traces noirâtres garnissent la surface jaunie des murs, et l'endroit exhale une odeur d'huile rancie, comme si trente années de plats chinois étaient palpables dans l'atmosphère.

Les chroniqueurs sportifs des grands quotidiens de tout le Japon, ont un bureau dans la pièce, divisée en boxes. Le Yomiuri semble avoir un box pour lui tout seul. Mais à plusieurs heures du début des combats les plus importants, la pièce est quasiment vide.

Je pose ma veste et mon sac dans le box du Yomiuri, puis retourne dans la grande salle pour regarder d'autres combats. Je m'installe dans le coin réservé à l'année par le journal. Je remarque Haruki, le yobidashi, assis au milieu d'un attroupement d'autres jeunes yobidashi à l'entrée du hanamachi. A une heure de l'après midi, commençant à avoir faim, je retourne à la salle de presse récupère mon ordinateur portable pour pouvoir vérifier mes e-mails dans le McDonald de l'autre côté de la rue, qui est pourvu d'accès internet sans fil.

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J'avale un cheeseburger et passe quelques minutes à répondre à mes e-mails, puis retourne au tournoi. A mon retour, un peu avant deux heures, l'atmosphère est totalement différente. On a plus l'impression d'être dans un enclos de spectateurs pintés à l'alcool de prune que dans un stade de fans de sport. Environ deux tiers des boxes sont désormais occupés par des spectateurs, assis sur leurs coussins en train de boire de la bière et de manger des friandises sur des plateaux de plastique. Beaucoup ont des sacs de papier remplis de gnôle, de bouffe et de souvenirs en vente dans la « maison de thé » près de l'entrée.

Ces « maisons de thé » sont un vestige des temps où le sumo se pratiquait en extérieur, quand des établissements indépendants poussaient en dehors des structures temporaires construites sur le sol des temples. Aujourd'hui, elles vendent à manger et à boire, mais c'est également l'endroit où l'écrasante majorité de fans viennent réserver leurs tickets. Selon une estimation, jusqu'à 90% des ventes de tickets sont faites dans ces stands, qui ont subi des critiques pour ne vendre qu'à des mécènes choisis et évincer les vrais fans. Les techniques de la NSK pour répartir les tickets à vendre aux « maisons de thé » ont conduit à l'un des plus grands scandales du sumo, dans les années 50, lorsqu'il fut révélé que la femme et la fille du président de la NSK possédaient deux des plus grands établissements. Au plus fort du scandale, le président, Dewanoumi, fit une tentative de suicide rituel, avant d'être finalement remplacé.

Quand des fans viennent assister à un tournoi, ils s'enregistrent avec la « maison de thé » à laquelle ils ont acheté leurs billets, et un réceptionniste travaillant pour l'établissement se charge de les conduire jusqu'à leurs places. Je vois maintenant ces gars conduire leurs clients à travers le chaos grandissant de la grande salle alors que je retourne à la salle de presse pour y reposer mes affaires.

La salle est maintenant remplie de journalistes en train de regarder les combats de sumo à la télévision. Je retourne au box de presse, jusqu'à ce que les invités officiels du journal n'arrivent et que le réceptionniste ne m'invite à partir. Je descends alors d'un rang jusqu'aux sièges de presse posés derrière un long bureau ancré au sol.

A ce moment, les combats des juryo viennent de débuter. Ceux-ci portent des mawashi de soie colorés, alors que les lutteurs que j'ai vus combattre avant de manger portaient les mêmes étoffes de toile rugueuse et grise dont ils se servent à l'entraînement dans leurs heya. Leurs sagari sont aussi durs et rigides, au contraire des sagari de débutants souples et bon marché. (j'ai lu que les sagari des lutteurs de haut rang sont durcis à l'amidon, bien que Hiroki m'affirmera plus tard qu'en fait ils sont bouillis dans une solution d'algues). Les juryo ont également un chignon plus travaillé : leurs cheveux se déploient pour dans une forme qui rappelle celle de la feuille de ginko, qui donne son nom au style de coiffure, 'oicho'.

Les combats de juryo sont aussi plus intéressants et palpitants. Les lutteurs de la matinée semblaient ne faire que s'envoyer valdinguer de chaque côté du dohyo, poussant et tirant l'adversaire jusqu'à ce que l'un tombe ou sorte des limites. Ces gars-là bougent vite et violemment, leurs bras s'agitant furieusement autour du corps de leur adversaire à la recherche de la meilleure prise possible. Même les yobidashi sont meilleurs, leur voix étant plus forte. Et les gyoji portent de vrais kimonos – pas des pantalons bouffants – et ont des décorations métalliques serties sur leurs éventails.

Les combats de juryo déchaînent également bien plus d'enthousiasme que les combats des lutteurs de rang inférieur. Le seul lutteur encouragé par son nom durant la matinée a été un jeune géant blanc nommé Baruto, dont j'apprendrai plus tard qu'il est estonien. Mais beaucoup des juryo qui montent sur le dohyo entendent leur nom crié par la foule.

Toutefois, je ne crois pas qu'aucun des juryo ne soit encouragé aussi bruyamment que le Sekitori quand il fait son entrée sur le dohyo. Je le vois descendre le hanamichi et s'asseoir en face de moi, et suis alors impatient de le voir combattre.

« Ishide », peut on entendre de toute l'assistance quand son tour arrive de monter sur le dohyo. « Allez Ishide! ».

Tout comme le reste des juryo que j'ai vu depuis mon retour dans l'arène, son temps de préparation pour le combat est infiniment plus long. Au contraire des rangs inférieurs, qui ne font que quelques shiko à la va-vite dans le coin du dohyo avant de se faire face et de se charger, ces gars prennent leur temps.

Je regarde le Sekitori entrer sur le cercle sacré, et prendre une louche d'eau dans la bouche, qu'il recrache dans un crachoir dont je réalise seulement maintenant qu'il est construit et inséré sur le côté du dohyo. Il prend une poignée de sel d'un seau posé dans le coin qu'il répand à ses pieds pendant qu'il se dirige vers le centre du dohyo, puis fait face à son adversaire.

Mais le combat n'est pas encore pour tout de suite.

Au lieu de ça, ils retournent chacun dans leur coin pour répandre encore du sel, puis refaire des shiko pour la foule.

« Ishide », crie quelqu'un derrière moi.

Ils reviennent au centre du cercle, mais encore une fois se contentent de se jeter un regard, les yeux dans les yeux, avant de revenir dans leur coin, où ils s'essuient et replongent leur main dans le seau de sel. L'adversaire du Sekitori prend une grosse poignée de sel et la lance de façon arrogante sur le dohyo. La foule rugit.

Le Sekitori prend une plus petite poignée de sel, qu'il lance tranquillement, puis la piétine gentiment du pied. Nouveaux rugissements. La personnalité du Sekitori, je commence à le comprendre, est à l'inverse de ce qu'il montre au sein de la heya. Sur le dohyo c'est un homme humble et mesuré.

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« Allez Ishide », crie-t-on encore à côté de moi.

Retour au centre du dohyo. Les lutteurs se jettent un regard sombre. Et cette fois-ci ils s'immobilisent. Quand le gyoji fait signe de son éventail, ils posent leurs poings à terre et se jettent l'un contre l'autre.

En quelques secondes, le Sekitori enroule ses bras autour de la taille de son adversaire. Quelques secondes plus tard, il le précipite hors du dohyo, sous des vivats plus forts que ce que j'ai pu entendre de toute la matinée.

Je me surprends moi-même à crier des encouragements.

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APRÈS: Additif sur le Sekitori

lundi, mars 07, 2005

Une matinée au Tournoi

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J'arrive à Ryogoku le dimanche, premier jour du tournoi, à dix heures du matin, environ deux heures après le début des premiers combats. Un lutteur sort du train en même temps que moi, sans doute arrivant pour combattre. En bas des quais, je vois Tatsuya passer les portiques. Il ne me reconnaît pas tout de suite, peut-être parce que je porte un costume-cravate et que j'ai laissé repousser barbe et moustache.

« Tatsuya », l'appelé-je. Il semble surpris de me voir. « Comment ça s'est passé ? ».
« J'ai perdu », me répond-il, l'air absent.

Je lui annonce que je passerai le revoir mardi, quand je reviendrai passer quelques nuits supplémentaires à la heya. Puis je quitte la gare et me dirige vers le bureau des relations publiques pour y récupérer mon badge de presse.

Dans la grande salle, les lutteurs de rang inférieur sont en train de combattre. Les combats se succèdent à un rythme soutenu, sans beaucoup de cérémonial. Quand j'entre dans le salle, le gyoji qui officie porte une veste bleue qui descend sur un pantalon bouffant.

Pendant ce temps, les noms des lutteurs sont annoncés par un yobidashi portant un kimono floqué de l'inscription « Natori » dans le dos. Je pense tout d'abord qu'il doit s'agir de son nom, mais comprends mon erreur quand il est remplacé par un autre portant « Ozeki sake » dans son dos. Je comprends alors que son kimono était une pub pour la compagnie alimentaire Natori.

Autour du dohyo se trouvent les juges, ou « shinpan », vêtus de kimonos noirs. Ils sont assis par terre au pied du dohyo sur les côtés nord, est et ouest, deux d'entre eux occupant le côté sud. Les shinpan sont tous d'anciens lutteurs ayant combattu dans des rangs très élevés.

C'est eux qui ont l'ultime pouvoir de décision concernant les vainqueurs de combats. Si un shinpan n'est pas d'accord avec la décision du gyoji, il peut convoquer une rapide réunion avec ses collègues sur le dohyo et, s'ils sont tous d'accord, inverser la décision du gyoji. Le shinpan en chef – assis au côté nord du dohyo – porte une oreillette qui le relie à un sixième juge qui officie en régie et a accès aux ralentis télévisés du match.

Les shinpan des côtés est et ouest du dohyo sont tous deux flanqués de deux lutteurs, qui sont les prochains combattants. Les lutteurs attendent du côté du dohyo correspondant à celui qu'ils occupent dans le banzuke.

Le lutteur suivant attend que le yobidashi chante son nom dans une complainte longue et haut perchée, tandis qu'il ouvre un éventail blanc. Le chant et sa musique me rappellent celle des vendeurs de yams qui officient à l'extérieur de Tokyo en hiver.

Après que le yobidashi a chanté leur nom (et désigné la direction), les lutteurs montent sur le dohyo. La place aux côté des shinpan est alors occupé par le lutteur suivant, qui émerge d'un corridor placé sous les tribunes (ce corridor s'appelle un 'hanamichi', ou 'chemin des fleurs'). C'est le même nom que l'allée qu'empruntent les acteurs de kabuki pour monter sur scène).

Ensuite, le gyoji désigne chaque côté du dohyo de son éventail tandis qu'il proclame une seconde fois les noms des lutteurs. Sa voix, théâtrale et forcée, est celle d'un acteur de No ou d'un prêtre shinto. Les lutteurs, dans l'intervalle, font quelques shiko dans leurs coins respectifs sur le côté sud du dohyo, face au hanamichi par lequel ils sont arrivés. Sur leurs cuisses pendent leurs sagari, les morceaux de corde rattachés à une ceinture qu'ils coincent en dessous de leur mawashi. Chaque lutteur a un sagari de couleur différente. Je ne suis pas très sûr de leur but ou de leur signification. L'un des ouvrages que j'ai lu les relie à la religion shinto; un autre qu'ils pendent au-dessus du pubis des lutteurs pour délimiter la partie du mawashi qui ne peut être agrippée durant les combats.

Après l'appel des lutteurs par le gyoji, celui-ci met son éventail en parallèle avec le sol, le relève, puis se retire en arrière. C'est pour les lutteurs le signal d'entrée sur le dohyo, tandis que leurs noms sont annoncés une troisième et dernière fois à la sono. Le gyoji fait alors un signe de son éventail et les lutteurs s'accroupissent, posent leurs poings à terre, rejettent leur sagari au-dessus de leurs cuisses repliées, et se jettent l'un contre l'autre.

Le gyoji suit les lutteurs à travers le dohyo tandis qu'ils s'affrontent en fredonnant ce qui me semble être un « teribu-teribu-teribu-ta ». En fait, j'apprendrai qu'ils déclament « nokotta, nokotta, nokotta », ce qui signifie quelque chose comme « Pas de décision ».

une fois un lutteur repoussé au-delà du cercle sacré ou projeté au sol, ou soulevé, le gyoji pointe son éventail vers le point cardinal du vainqueur. Puis les deux lutteurs se font face au centre du cercle et se saluent. Le perdant quitte le dohyo, tandis que le vainqueur s'accroupit devant le gyoji, qui proclame son nom.

Quand j'arrive, il n'y a encore qu'une poignée de spectateurs – pas mal d'entre eux étant des occidentaux – dans les boxes du rez-de-chaussée, les balcons étant quasi vides. Miki m'a dit la veille que certains fans de sumo achètent des tickets de balcon qui peuvent coûter au minimum 40 $, et regardent les combats d'en bas jusqu'à ce que les spectateurs qui ont payé jusqu'à 370$ pour leurs boxes n'arrivent. Les étrangers sont très réputés pour faire cela, m'a dit Miki; la plupart des Japonais se fichent des premiers combats et n'arrivent que vers 2h30 ou 3h, quand les plus hauts gradés se font face.

Je me suis moi-même assis dans un box pour regarder les premiers matches. Les premiers que j'ai pu voir étaient entre des jonidan, mais à mesure que la matinée s'avance, des lutteurs de mieux en mieux classés s'affrontent. Régulièrement, on change les gyoji et les yobidashi, leur rang s'élevant avec celui des lutteurs. Quelques combats auxquels j'assiste sont arbitrés par le gyoji de « ma » heya, et l'un des yobidashi que j'ai vu aider à la confection du dohyo annonce plusieurs combats à la suite.

Cela fait une heure que je regarde les combats quand Miki arrive. Il m'emmène dans l'un des vestiaires du côté Ouest. C'est une pièce allongée avec un étroit corridor courant entre des tatami, où des dizaines de lutteurs sont à divers stades de déshabillage. Kazuya, qui a dû combattre quelques instants avant que je n'arrive, est sur le point de partir. Je lui demande comment s'est passé son combat.

« J'ai gagné », me dit-il, avec une joie très palpable dans le ton de sa voix.

APRÈS: Les combats des sekitori

jeudi, février 24, 2005

L'Eko-in

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« MONTAGNE DE FORCE »

Juste dans le hall d'entrée du Kokugikan se trouve une vitrine remplie de trophées de sumo. Parmi ceux-ci, une bouteille de Coca-Cola chromée géante – le « trophée Coca-Cola », indique la plaque en dessous. Un autre trophée est un énorme cylindre de verre rempli de champignons séchés. La « Coupe Tchèque » est une chope en cristal géante, posée devant un poster vantant les mérites de la Pilsen Urquell.

Je suis en train de regarder les trophées quand j'entends quelqu'un m'appeler. Levant les yeux, j'aperçois un jeune gars bien coiffé, en costume gris et pantalons noirs. J'imagine, et je ne me trompe pas, qu'il s'agit de Miki.

Miki m'entraîne hors du hall d'entrée vers le bureau des relations publiques, l'endroit même où j'ai rencontré l'oyakata. Là, il fait faire par un photographe du Yomiuri les clichés nécessaires au badge de presse qu'il m'a promis pour le tournoi. De retour dans le bureau, j'aperçois tous les journalistes et photographes assemblés ici autour d'une table jonchée de « butin » de presse : articles, DVD, photos.

S'y trouve également une petite collection de poupées Barbie en costume de sumo : Barbie-gyoji, Barbie-Kesho-Mawashi. L'une a même la tête de Ken insidieusement transposée sur le corps rond et coloré d'un lutteur en mawashi.

Miki me demande de l'attendre tandis qu'il tape des notes sur son ordinateur portable, qu'il a connecté à son cellulaire. Puis il m'emmène manger dans un restaurant tempura, où il commande des fruits de mer pilés sur du riz, que nous arrosons de bière.

Miki mange rapidement. Lorsque nous quittons le restaurant, il m'informe que je peux arriver au Kokugikan quand je le désire le jour suivant – premier jour du tournoi – et percevoir mon badge de presse, qui me permettra d'aller et venir à ma guise. Avant que nous ne nous quittions, je lui demande de m'indiquer le chemin du temple d'Eko-in, que je souhaite voir en raison de son rapport avec le sumo.

Eko-in, en fait, est ce qui a amené le sumo dans le quartier Ryogoku de ce qui allait devenir Tokyo. Construit au milieu du 18° siècle pour inhumer et rendre hommage aux plus de cent mille victimes du gigantesque incendie qui avait détruit la ville environ un siècle plus tôt. Mais Eko-in n'avait pas accès aux même mannes financières dont disposaient la plupart des temples : les tombes qu'il renfermait étant anonymes, il ne pouvait recevoir les dons de familles de victimes enterrées là. Le temple trouva alors la solution pour asseoir sa viabilité financière en organisant deux fois par an des tournois de sumo, devant des milliers de spectateurs.

Le sumo pratiqué dans l'enceinte de temples n'était pas une nouveauté. Cela faisait bien longtemps que temples et sanctuaires gagnaient de l'argent en hébergeant le ramassis de samurai en rupture de ban et d'immigrants venus de la campagne, qui luttaient dans les combats primés qui allaient devenir le sumo moderne. Avant qu'Eko-in ne commence à tenir des combats en son sein, la plupart se déroulaient sur le sol du sanctuaire de Fukugawa Hachiman, en aval du fleuve Sumida. Mais une fois qu'ils furent transférés à l'Eko-in, celui-ci devint la destination majeure du sumo et Ryogoku son quartier général.

Au début du 20° siècle, le sumo gagna un prestige tout neuf, surfant sur la vague de fierté nationale qui submergea le Japon après ses récentes victoires sur la Chine et la Russie et entraîna chez les Japonais un retour aux sources de leur culture, par volonté d'opposition envers la civilisation occidentale. Expression de la culture japonaise tout à fait singulière, le sumo fut élevé au rang de sport national, et le Kokugikan, construit près du temple, devint sa maison.

De nos jours, toutefois, la seule chose qui semble encore relier l'Eko-in à son passé de sumo est la pierre gravée de l'inscription « Montagne de force », placée à l'entrée du temple, et érigée dans les années 30 pour commémorer un lutteur célèbre. Le temple lui-même se trouve au fond d'un axe routier chargé, derrière un building d'acier et de verre. Les vastes terrains du temple, qui lui permettaient d'abriter les énormes structures démontables dans lesquelles le sumo prenait place, ont désormais disparus. C'est aujourd'hui un quartier résidentiel encombré de petites villas. Mais son passé de cimetière rejaillit clairement des denses amas de tombes sur le côté.

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APRÈS: Une matinée au Tournoi

samedi, février 12, 2005

Le grand Dohyo-Matsuri

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Les lendemain de la session d'entraînement des lutteurs devant le conseil de promotion des yokozuna, Miki, le journaliste du Yomiuri qui a arrangé mon séjour au sein de la heya – et que je n'ai toujours pas rencontré en personne – m'envoie un e-mail. Il m'écrit que la NSK doit tenir un dohyo-matsuri ce samedi matin pour sanctifier le cercle sacré du Kokugikan avant le début du tournoi de Janvier. Il m'invite à passer et me dit que nous nous rencontrerons sur place.

J'arrive en retard, pour trouver une petite foule déjà tassée contre les cordes délimitant l'entrée du complexe. Certains sont munis d'appareils photos et se tordent le cou pour tenter d'avoir une vue dégagée sur quiconque pourrait franchir les portes. Posées contre ces dernières, deux énormes portraits de lutteurs, que je reconnais pour les avoir vus dans le magazine de sumo que j'ai acheté quelques jours plus tôt.

L'un est Kaio, représenté debout, ses bras très musclés pendant sur le côté; L’autre est le Mongol Asashoryu, représenté penché, en train d'effectuer un shiko très travaillé. Tous deux portent le tablier richement décoré, le kesho-mawashi, signe distinctif de leur rang. Asashoryu porte en outre une large corde autour de la taille, sur laquelle pendent des motifs de papier en forme d'éclairs, qui retombent sur ses cuisses repliées. La corde et les éclairs sont le signe de sa condition de yokozuna.

Ces portraits, apprendrai-je plus tard, symbolisent les victoires des lutteurs dans les tournois de l'année précédente. Asashoryu en a gagné cinq, Kaio un seulement.

Tout d'abord je pensais que la foule attendait pour entrer voir le dohyo-matsuri, mais de temps à autres un garde fait entrer quelqu'un à l'intérieur, en lui faisant traverser la foule. Je commence à craindre de rater la cérémonie à l'intérieur, et je me dirige donc vers une entrée de service à travers la salle de musée, et pénètre à l'intérieur sans être arrêté. J'aperçois un garde et lui demande où se tient le dohyo-matsuri; il me montre trois portes attenantes. J'imagine que c'est à mon costume-cravatte que je dois cette entrée particulièrement libre.

Je pénètre dans l'énorme salle de lutte. Le dohyo s'y trouve au centre, monté sur un amas de terre trapézoïdal à peine plus large que le cercle sacré lui-même. Un toit en bois de style shinto est suspendu au-dessus du dohyo, des fourragères de couleur rouge, blanche, noire et vertes accrochées à chaque coins. Elles représentent les quatre saisons, les quatre points cardinaux ou les quatre divinités mythologiques, selon diverses sources. Mais personne ne conteste qu'elles symbolisent au moins les quatre piliers qui supportaient autrefois le baldaquin.

Jusqu'au vingtième siècle, les matches de sumo se tenaient en extérieur, souvent sur des dohyo surmontés de baldaquins qui protégeaient les lutteurs de la pluie et de la neige. Quand le sumo commença à se tenir au Kokugikan (littéralement 'centre sportif national') construit exprès à cet usage en 1909, le toit fit son entrée à l'intérieur. Désormais, les matches se jouant en salle, ce toit n'avait plus d'utilité pratique, et les piliers qui le supportaient gênaient la vision des spectateurs. Donc, dans les années 30 (ou 50, selon les sources), les fourragères ont remplacé les piliers.

Le baldaquin en lui-même, en attendant, fut construit sur le modèle des toits des temples shintos. J'ai lu qu'il aurait en particulier une grande ressemblance avec le toit du temple d'Ise, dans la préfecture de Mie. Ce temple est dédié à la déesse du Soleil qui, selon les mythes ancestraux japonais, a crée la lignée impériale. Cela en fait l'un des sites religieux les plus importants du pays. Mais bien que le temple d'Ise ait été construit il y a des milliers d'années, il n'a inspiré les toitures du sumo que depuis les années trente, quand il fut introduit au Kokugikan pour lui donné un aspect plus traditionnellement nippon. Avant cela, le baldaquin avait pour modèle des toitures de fermes célèbres de la campagne japonaise.

Autour du dohyo se trouvent deux rangées de sièges. La plus basse consiste en des coussins posés au sol, avec quinze gradins de boxes s'élevant progressivement. Chaque box est tout juste assez large pour contenir quatre personnes, et quatre coussins divisent en quartiers le sol recouvert de moquette orange. Devant les rangées de boxes, quelques rangées de coussins posés directement au sol autour du dohyo. Le balcon extérieur surplombe les boxes éloignés et consiste en une quinzaine de rangées de sièges pliables rouges.

Quelques spectateurs, la plupart des solitaires s'étant réservé un box pour eux seuls, contemplent le dohyo-matsuri, qui semble reproduire le même schéma que celui que j'ai vu dans la heya. Mais cette cérémonie est plus élaborée, trois gyoji exécutant les rituels, chacun d'entre eux semblant bien plus religieux que Hage-san. Au contraire du splendide costume de Hage-san, leurs chapeaux et kimonos sont strictement identiques à ceux portés par les véritables prêtres shintos. Le gyoji en chef, qui déclame les prières, porte un kimono doré; les deux autres, des kimonos blancs.

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Autour du dohyo se trouvent de nombreux oyakata et autres institutionnels du sumo, en costumes sombres. Ils partagent le sake et autres offrandes, tout comme les lutteurs le faisaient à la heya.

A la fin de la cérémonie, je suis toute cette petite assemblée dehors, où la foule amassée autour de l'entrée principale est maintenant nombreuse. Peu après, Kaio et Asashoryu émergent du bâtiment en kimono traditionnel. Je reconnais le visage poupin de Kaio que j'ai vu devant le conseil de promotion des yokozuna. Mais je n'ai encore jamais vu Asashoryu de près, et suis très surpris de constater combien il paraît jeune avec son visage rondouillard.

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Un vieux Japonais leur remet cérémonieusement une reproduction plus petite des portraits géants devant lesquels ils se trouvent. Je ne reconnais pas le vieux, mais imagine qu'il doit être membre de la NSK ou représentant du journal Mainichi, qui a commandé les portraits. Au moment où il remet son portrait à Asashoryu, une petite grand-mère japonaise devant moi fait remarquer, avec un rien d'aigreur dans la voix, à une autre petite vieille : « Il est rentré de Mongolie juste la semaine dernière ».

Puis les deux lutteurs se rapprochent l'un de l'autre et se serrent la main devant les appareils photo que tout un chacun dans la foule semble avoir. « Vas-y Kaio » crie la vieille devant moi.

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De fait, à un jour du début du tournoi, la question qui semble être sur toutes les lèvres des fans de sumo est de savoir si Kaio fera une performance suffisante pour être promu yokozuna ce tournoi. Les fans japonais, ais-je pu lire, sont lassé d'avoir un étranger qui domine au sommet de leur sport national. Ils veulent un yokozuna japonais.

Mais, pour l'instant, Kaio n'a pas la cote. Il a perdu plusieurs matches contre des lutteurs moins bien classé durant le conseil de promotion des yokozuna – j'ai même vu à ce moment l'un des oyakata présents le réprimander publiquement pour concéder tant de défaites, même si j'ignore qui il était.

Quelques fans et commentateurs rejettent la responsabilité de la piètre performance de Kaio sur Asashoryu. Le yokozuna a manqué la session, selon son oyakata parce qu'il est rentré de Mongolie avec un rhume. Kaio a perdu beaucoup de matches parce qu'il a du compenser la fainéantise d'Asashoryu et combattre beaucoup plus qu'il n'aurait eu autrement à le faire, ont dit certains.

Le sentiment sous-jacent dans beaucoup de commentaires de fans est un ressentiment sur le fait que Asashoryu ait quitté le Japon pendant les vacances de Nouvel An.

« C'est une tradition séculaire dans le monde du sumo que les sumotori patientent et ne prennent leurs vacances de Nouvel An qu'après la fin du tournoi de Janvier » écrit un commentateur de l'Asahi. « Si Asashoryu perd de nombreux combats [à cause de sa maladie], il devrait recevoir les critiques qu'il mérite ».

Je ne pense pas que cette amertume vienne du ressentiment provoqué par l'absence de yokozuna japonais. Je crois plutôt que les Japonais voient en Asashoryu quelqu'un qui ne remplit pas les exigences attachées à son rang.

Les sumotori s'habillent comme les japonais des siècles passés, s'entourent des emblèmes de la religion nationale et suivent les us et coutumes du Japon traditionnel avec bien plus d'entrain que le reste de la population. Dans tout cela, ils sont comme une quintessence d'une forme exacerbée de « nipponisme ». Par conséquent, l'unique champion se doit d'être exemplaire sur le plan de l'attitude japonaise, qu'il soit lui-même japonais ou pas. Passer outre l'entraînement pré-tournoi après s'être barré en Mongolie n'est pas quelque chose que peut faire un yokozuna, peut-on imaginer lire en filigrane.

Quoi qu'il en soit, la cérémonie achevée, la foule se disperse et les cordes sont enlevées. Je retourne à l'intérieur du Kokugikan pour tuer le temps en attendant des nouvelles de Miki, dont j'attends le coup de fil.

APRÈS: L'Eko-in