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mercredi, mars 09, 2005

Les combats des sekitori

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Après notre départ des vestiaires des lutteurs, Miki m'emmène à la salle de presse, dont les murs sont teintés de jaune. Dans des temps plus reculés, avant que la cigarette ne fut bannie de l'enceinte du Kokugikan, il n'y avait sans doute que les fumeurs les plus invétérés pour oser y pénétrer. Des traces noirâtres garnissent la surface jaunie des murs, et l'endroit exhale une odeur d'huile rancie, comme si trente années de plats chinois étaient palpables dans l'atmosphère.

Les chroniqueurs sportifs des grands quotidiens de tout le Japon, ont un bureau dans la pièce, divisée en boxes. Le Yomiuri semble avoir un box pour lui tout seul. Mais à plusieurs heures du début des combats les plus importants, la pièce est quasiment vide.

Je pose ma veste et mon sac dans le box du Yomiuri, puis retourne dans la grande salle pour regarder d'autres combats. Je m'installe dans le coin réservé à l'année par le journal. Je remarque Haruki, le yobidashi, assis au milieu d'un attroupement d'autres jeunes yobidashi à l'entrée du hanamachi. A une heure de l'après midi, commençant à avoir faim, je retourne à la salle de presse récupère mon ordinateur portable pour pouvoir vérifier mes e-mails dans le McDonald de l'autre côté de la rue, qui est pourvu d'accès internet sans fil.

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J'avale un cheeseburger et passe quelques minutes à répondre à mes e-mails, puis retourne au tournoi. A mon retour, un peu avant deux heures, l'atmosphère est totalement différente. On a plus l'impression d'être dans un enclos de spectateurs pintés à l'alcool de prune que dans un stade de fans de sport. Environ deux tiers des boxes sont désormais occupés par des spectateurs, assis sur leurs coussins en train de boire de la bière et de manger des friandises sur des plateaux de plastique. Beaucoup ont des sacs de papier remplis de gnôle, de bouffe et de souvenirs en vente dans la « maison de thé » près de l'entrée.

Ces « maisons de thé » sont un vestige des temps où le sumo se pratiquait en extérieur, quand des établissements indépendants poussaient en dehors des structures temporaires construites sur le sol des temples. Aujourd'hui, elles vendent à manger et à boire, mais c'est également l'endroit où l'écrasante majorité de fans viennent réserver leurs tickets. Selon une estimation, jusqu'à 90% des ventes de tickets sont faites dans ces stands, qui ont subi des critiques pour ne vendre qu'à des mécènes choisis et évincer les vrais fans. Les techniques de la NSK pour répartir les tickets à vendre aux « maisons de thé » ont conduit à l'un des plus grands scandales du sumo, dans les années 50, lorsqu'il fut révélé que la femme et la fille du président de la NSK possédaient deux des plus grands établissements. Au plus fort du scandale, le président, Dewanoumi, fit une tentative de suicide rituel, avant d'être finalement remplacé.

Quand des fans viennent assister à un tournoi, ils s'enregistrent avec la « maison de thé » à laquelle ils ont acheté leurs billets, et un réceptionniste travaillant pour l'établissement se charge de les conduire jusqu'à leurs places. Je vois maintenant ces gars conduire leurs clients à travers le chaos grandissant de la grande salle alors que je retourne à la salle de presse pour y reposer mes affaires.

La salle est maintenant remplie de journalistes en train de regarder les combats de sumo à la télévision. Je retourne au box de presse, jusqu'à ce que les invités officiels du journal n'arrivent et que le réceptionniste ne m'invite à partir. Je descends alors d'un rang jusqu'aux sièges de presse posés derrière un long bureau ancré au sol.

A ce moment, les combats des juryo viennent de débuter. Ceux-ci portent des mawashi de soie colorés, alors que les lutteurs que j'ai vus combattre avant de manger portaient les mêmes étoffes de toile rugueuse et grise dont ils se servent à l'entraînement dans leurs heya. Leurs sagari sont aussi durs et rigides, au contraire des sagari de débutants souples et bon marché. (j'ai lu que les sagari des lutteurs de haut rang sont durcis à l'amidon, bien que Hiroki m'affirmera plus tard qu'en fait ils sont bouillis dans une solution d'algues). Les juryo ont également un chignon plus travaillé : leurs cheveux se déploient pour dans une forme qui rappelle celle de la feuille de ginko, qui donne son nom au style de coiffure, 'oicho'.

Les combats de juryo sont aussi plus intéressants et palpitants. Les lutteurs de la matinée semblaient ne faire que s'envoyer valdinguer de chaque côté du dohyo, poussant et tirant l'adversaire jusqu'à ce que l'un tombe ou sorte des limites. Ces gars-là bougent vite et violemment, leurs bras s'agitant furieusement autour du corps de leur adversaire à la recherche de la meilleure prise possible. Même les yobidashi sont meilleurs, leur voix étant plus forte. Et les gyoji portent de vrais kimonos – pas des pantalons bouffants – et ont des décorations métalliques serties sur leurs éventails.

Les combats de juryo déchaînent également bien plus d'enthousiasme que les combats des lutteurs de rang inférieur. Le seul lutteur encouragé par son nom durant la matinée a été un jeune géant blanc nommé Baruto, dont j'apprendrai plus tard qu'il est estonien. Mais beaucoup des juryo qui montent sur le dohyo entendent leur nom crié par la foule.

Toutefois, je ne crois pas qu'aucun des juryo ne soit encouragé aussi bruyamment que le Sekitori quand il fait son entrée sur le dohyo. Je le vois descendre le hanamichi et s'asseoir en face de moi, et suis alors impatient de le voir combattre.

« Ishide », peut on entendre de toute l'assistance quand son tour arrive de monter sur le dohyo. « Allez Ishide! ».

Tout comme le reste des juryo que j'ai vu depuis mon retour dans l'arène, son temps de préparation pour le combat est infiniment plus long. Au contraire des rangs inférieurs, qui ne font que quelques shiko à la va-vite dans le coin du dohyo avant de se faire face et de se charger, ces gars prennent leur temps.

Je regarde le Sekitori entrer sur le cercle sacré, et prendre une louche d'eau dans la bouche, qu'il recrache dans un crachoir dont je réalise seulement maintenant qu'il est construit et inséré sur le côté du dohyo. Il prend une poignée de sel d'un seau posé dans le coin qu'il répand à ses pieds pendant qu'il se dirige vers le centre du dohyo, puis fait face à son adversaire.

Mais le combat n'est pas encore pour tout de suite.

Au lieu de ça, ils retournent chacun dans leur coin pour répandre encore du sel, puis refaire des shiko pour la foule.

« Ishide », crie quelqu'un derrière moi.

Ils reviennent au centre du cercle, mais encore une fois se contentent de se jeter un regard, les yeux dans les yeux, avant de revenir dans leur coin, où ils s'essuient et replongent leur main dans le seau de sel. L'adversaire du Sekitori prend une grosse poignée de sel et la lance de façon arrogante sur le dohyo. La foule rugit.

Le Sekitori prend une plus petite poignée de sel, qu'il lance tranquillement, puis la piétine gentiment du pied. Nouveaux rugissements. La personnalité du Sekitori, je commence à le comprendre, est à l'inverse de ce qu'il montre au sein de la heya. Sur le dohyo c'est un homme humble et mesuré.

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« Allez Ishide », crie-t-on encore à côté de moi.

Retour au centre du dohyo. Les lutteurs se jettent un regard sombre. Et cette fois-ci ils s'immobilisent. Quand le gyoji fait signe de son éventail, ils posent leurs poings à terre et se jettent l'un contre l'autre.

En quelques secondes, le Sekitori enroule ses bras autour de la taille de son adversaire. Quelques secondes plus tard, il le précipite hors du dohyo, sous des vivats plus forts que ce que j'ai pu entendre de toute la matinée.

Je me surprends moi-même à crier des encouragements.

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APRÈS: Additif sur le Sekitori