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lundi, mars 07, 2005

Une matinée au Tournoi

match

J'arrive à Ryogoku le dimanche, premier jour du tournoi, à dix heures du matin, environ deux heures après le début des premiers combats. Un lutteur sort du train en même temps que moi, sans doute arrivant pour combattre. En bas des quais, je vois Tatsuya passer les portiques. Il ne me reconnaît pas tout de suite, peut-être parce que je porte un costume-cravate et que j'ai laissé repousser barbe et moustache.

« Tatsuya », l'appelé-je. Il semble surpris de me voir. « Comment ça s'est passé ? ».
« J'ai perdu », me répond-il, l'air absent.

Je lui annonce que je passerai le revoir mardi, quand je reviendrai passer quelques nuits supplémentaires à la heya. Puis je quitte la gare et me dirige vers le bureau des relations publiques pour y récupérer mon badge de presse.

Dans la grande salle, les lutteurs de rang inférieur sont en train de combattre. Les combats se succèdent à un rythme soutenu, sans beaucoup de cérémonial. Quand j'entre dans le salle, le gyoji qui officie porte une veste bleue qui descend sur un pantalon bouffant.

Pendant ce temps, les noms des lutteurs sont annoncés par un yobidashi portant un kimono floqué de l'inscription « Natori » dans le dos. Je pense tout d'abord qu'il doit s'agir de son nom, mais comprends mon erreur quand il est remplacé par un autre portant « Ozeki sake » dans son dos. Je comprends alors que son kimono était une pub pour la compagnie alimentaire Natori.

Autour du dohyo se trouvent les juges, ou « shinpan », vêtus de kimonos noirs. Ils sont assis par terre au pied du dohyo sur les côtés nord, est et ouest, deux d'entre eux occupant le côté sud. Les shinpan sont tous d'anciens lutteurs ayant combattu dans des rangs très élevés.

C'est eux qui ont l'ultime pouvoir de décision concernant les vainqueurs de combats. Si un shinpan n'est pas d'accord avec la décision du gyoji, il peut convoquer une rapide réunion avec ses collègues sur le dohyo et, s'ils sont tous d'accord, inverser la décision du gyoji. Le shinpan en chef – assis au côté nord du dohyo – porte une oreillette qui le relie à un sixième juge qui officie en régie et a accès aux ralentis télévisés du match.

Les shinpan des côtés est et ouest du dohyo sont tous deux flanqués de deux lutteurs, qui sont les prochains combattants. Les lutteurs attendent du côté du dohyo correspondant à celui qu'ils occupent dans le banzuke.

Le lutteur suivant attend que le yobidashi chante son nom dans une complainte longue et haut perchée, tandis qu'il ouvre un éventail blanc. Le chant et sa musique me rappellent celle des vendeurs de yams qui officient à l'extérieur de Tokyo en hiver.

Après que le yobidashi a chanté leur nom (et désigné la direction), les lutteurs montent sur le dohyo. La place aux côté des shinpan est alors occupé par le lutteur suivant, qui émerge d'un corridor placé sous les tribunes (ce corridor s'appelle un 'hanamichi', ou 'chemin des fleurs'). C'est le même nom que l'allée qu'empruntent les acteurs de kabuki pour monter sur scène).

Ensuite, le gyoji désigne chaque côté du dohyo de son éventail tandis qu'il proclame une seconde fois les noms des lutteurs. Sa voix, théâtrale et forcée, est celle d'un acteur de No ou d'un prêtre shinto. Les lutteurs, dans l'intervalle, font quelques shiko dans leurs coins respectifs sur le côté sud du dohyo, face au hanamichi par lequel ils sont arrivés. Sur leurs cuisses pendent leurs sagari, les morceaux de corde rattachés à une ceinture qu'ils coincent en dessous de leur mawashi. Chaque lutteur a un sagari de couleur différente. Je ne suis pas très sûr de leur but ou de leur signification. L'un des ouvrages que j'ai lu les relie à la religion shinto; un autre qu'ils pendent au-dessus du pubis des lutteurs pour délimiter la partie du mawashi qui ne peut être agrippée durant les combats.

Après l'appel des lutteurs par le gyoji, celui-ci met son éventail en parallèle avec le sol, le relève, puis se retire en arrière. C'est pour les lutteurs le signal d'entrée sur le dohyo, tandis que leurs noms sont annoncés une troisième et dernière fois à la sono. Le gyoji fait alors un signe de son éventail et les lutteurs s'accroupissent, posent leurs poings à terre, rejettent leur sagari au-dessus de leurs cuisses repliées, et se jettent l'un contre l'autre.

Le gyoji suit les lutteurs à travers le dohyo tandis qu'ils s'affrontent en fredonnant ce qui me semble être un « teribu-teribu-teribu-ta ». En fait, j'apprendrai qu'ils déclament « nokotta, nokotta, nokotta », ce qui signifie quelque chose comme « Pas de décision ».

une fois un lutteur repoussé au-delà du cercle sacré ou projeté au sol, ou soulevé, le gyoji pointe son éventail vers le point cardinal du vainqueur. Puis les deux lutteurs se font face au centre du cercle et se saluent. Le perdant quitte le dohyo, tandis que le vainqueur s'accroupit devant le gyoji, qui proclame son nom.

Quand j'arrive, il n'y a encore qu'une poignée de spectateurs – pas mal d'entre eux étant des occidentaux – dans les boxes du rez-de-chaussée, les balcons étant quasi vides. Miki m'a dit la veille que certains fans de sumo achètent des tickets de balcon qui peuvent coûter au minimum 40 $, et regardent les combats d'en bas jusqu'à ce que les spectateurs qui ont payé jusqu'à 370$ pour leurs boxes n'arrivent. Les étrangers sont très réputés pour faire cela, m'a dit Miki; la plupart des Japonais se fichent des premiers combats et n'arrivent que vers 2h30 ou 3h, quand les plus hauts gradés se font face.

Je me suis moi-même assis dans un box pour regarder les premiers matches. Les premiers que j'ai pu voir étaient entre des jonidan, mais à mesure que la matinée s'avance, des lutteurs de mieux en mieux classés s'affrontent. Régulièrement, on change les gyoji et les yobidashi, leur rang s'élevant avec celui des lutteurs. Quelques combats auxquels j'assiste sont arbitrés par le gyoji de « ma » heya, et l'un des yobidashi que j'ai vu aider à la confection du dohyo annonce plusieurs combats à la suite.

Cela fait une heure que je regarde les combats quand Miki arrive. Il m'emmène dans l'un des vestiaires du côté Ouest. C'est une pièce allongée avec un étroit corridor courant entre des tatami, où des dizaines de lutteurs sont à divers stades de déshabillage. Kazuya, qui a dû combattre quelques instants avant que je n'arrive, est sur le point de partir. Je lui demande comment s'est passé son combat.

« J'ai gagné », me dit-il, avec une joie très palpable dans le ton de sa voix.

APRÈS: Les combats des sekitori