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mercredi, février 02, 2005

Les brutalités dans le sumo

Un jour, alors que je suis en train de taper quelques notes dans la chambre de la heya, je demande à Murayoshi quel est le véritable nom de ce que j'ai appelé les « séances de polisseuse », durant lesquelles un lutteur pousse l'autre le long du dohyo entre les séances de combat.
« Butsukarigeiko. C'est la partie la plus brutale de l'entraînement ».
Après un moment de réflexion, il me demande « Tu pense qu'on est brutaux les uns envers les autres ? »
« Oui », lui dis-je, spontanément. A l'entraînement ce jour-là, j'ai vu Moriyasu agripper Batto par le cou et le balancer au sol à chaque fois que le Mongol n'arrivait pas à le repousser durant le butsukarigeiko. Moriyasu l'a torturé ainsi indéfiniment, jusqu'à ce que Batto se retrouve couvert de terre, soufflant et sifflant bruyamment. Au bout d'un moment, je ne pouvais même plus regarder, mais personne n'avait l'air de trouver ça choquant le moins du monde.

« Je crois que Moriyasu a été vraiment violent avec Batto aujourd'hui », lui dis-je.
« Oh, ça ? C'était rien. Ca a été beaucoup plus violent, dans le temps ».

Quand Murayoshi a rejoint la heya il y a onze années, de telles brutalités lors d'un butsukarigeiko étaient monnaie courante, me dit-il. Il ajoute que les lutteurs étaient encore plus durs envers leurs subordonnés avant qu'il n'arrive.

« Mais les Japonais d'aujourd'hui n'ont pas le cuir dur. Ils pleurnichent et ont le mal du pays. Ils ne peuvent pas supporter les coups. Ils plient bagage et s'en vont ».

En plus de se battre les uns les autres, me dit Murayoshi, ils se faisaient également bastonner assez souvent par l'oyakata et le kashira. « Quand j'ai commencé, le kashira me frappait avec un bâton si je faisais deux fois la même erreur. Parfois il me battait parce qu'il estimait que je me comportais mal ».

Quelques jours plus tard, Hiroki me corrobore la description faite par Murayoshi des vertes années du kashira. Aujourd’hui inoffensif bien que violent, le kashira était apparemment dans la heya une véritable enflure. Il avait pour habitude de s'asseoir, regardant l'entraînement à la même place près du radiateur qu'il occupe aujourd'hui, un long et menaçant bâton derrière lui. « Si quelqu'un se plantait pendant l'exercice, il le frappait sur les fesses ou les cuisses – parfois même sur la tête ».

Mais il y a environ quatre ans, me dit Hiroki, le kashira a changé. Son humeur s'est assagie et il a arrêté d'agresser les lutteurs durant l'entraînement. Et la bâton a disparu.

David Shapiro, l'expert américain du sumo que j'ai rencontré après mon départ de la heya, m'a donné une raison similaire à celle de Murayoshi pour expliquer l'assouplissement des règles de vie du sumo : les jeunes japonais d'aujourd'hui ne pourraient supporter trop de bastonnades.

« C'est l'éducation parentale. Avant la guerre, si un gamin partait faire du sumo, son père lui disait 'ne revient pas à la maison avant d'être juryo' », rang qu'occupe le sekitori. « Maintenant, sa maman lui dit 'si tu n'aimes pas ça, revient à la maison'. Il est dur pour un enfant élevé de cette manière de recevoir des coups et d'en redemander ».

Cette vague de jeunes japonais moins déférents envers leurs supérieurs est positive pour un pays moderne qui cherche à faire éclore des citoyens responsables et indépendants, dit Shapiro. Mais ce n'est pas la panacée pour produire des sumotori durs à cuire.

Lors de ma rencontre avec l'oyakata, je lui ai demandé s'il pense que le sumo s'assouplissait. C'est son avis, mais il ne le voit pas comme une conséquence du déclin des châtiments corporels dans le sport. Il pense plutôt que la raison en est que les nouvelles générations sont moins enclines à faire des efforts que leurs aînés.

« Peut-être que c'est en train de s'assouplir. Mais le problème, c'est les lutteurs eux-mêmes. S'ils travaillaient plus dur, le niveau serait plus élevé ».

L'oyakata ne semble pas regretter les temps où l'entraînement impliquait une dose salvatrice de maltraitances. « Les sumotori ne progressent pas grâce aux coups de bâton. Ils deviennent meilleurs par de bons conseils techniques. Chacun possède une morphologie différente, et doit donc être entraîné différemment. Ne faire que donner des coups de bâton, c'est juste une solution de facilité ».

APRÈS: Le grand Dohyo-Matsuri