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samedi, janvier 22, 2005

Entretien avec un Oyakata

oya-nofocs

A trois heures de l'après-midi, j'arrive dans le bureau de l'oyakata, l'endroit même où Usuda m'avait amené il y a quelques semaines quand j'ai emménagé au sein de la heya. J'aperçois l'oyakata en train de tamponner des papiers à son bureau à l'arrière de la pièce.

« Mon nom est Jacob », dis-je à la réceptionniste. « J'ai un rendez-vous avec Hanaregomo oyakata ».

elle me demande d'attendre et s'éloigne vers le fond de la pièce, où je la vois dire quelque chose à l'oyakata. Il lève les yeux et me fait signe de m'approcher.

« Bonne année » lui dis-je quand j'arrive à son bureau.
« Euh, bonne année », me répond-t-il, avec l'air d'avoir oublié que l'année précédente s'est achevée si récemment. Il me fait signe de m'asseoir sur la chaise en face de son bureau. « Vous vous êtes laissé pousser la barbe », dit-il avec un petit rictus.
« En fait, je me l'étais rasée avant de venir dans la heya. Je pensais revêtir le mawashi plus souvent et je n'ai jamais vu un sumotori avec une barbe... jusqu'à ce que je vois ce gros Européen à l'entraînement ce matin »
« Oh, vous y étiez. Vous devez parler de Kokkai. Il vient de Géorgie »

Pendant ce temps, la réceptionniste nous a apporté à chacun une tasse de café dans des gobelets en plastique. L'oyakata sirote le sien et s'allume une cigarette. Je ne touche pas au mien, en ayant bu au McDonald pendant que je vérifiais mes e-mails et au café tandis que j'attendais l'heure du rendez-vous. Je commence à lui poser mes questions sur la façon dont il est entré en sumo.

Il s'avère qu'il a eu pas mal de réticences au départ. A l'âge de 19 ans, il avait de belle manière intégré l'université dans sa ville natale de la préfecture de Yamaguchi, où il étudiait le droit et combattait dans l'équipe de judo, mais ses parents avaient d'autres plans le concernant.

« Ils m'ont dit 'essayes donc le sumo'. Je ne voulais pas, mais je n'ai pas eu le choix : ils m'auraient coupé les vivres et j'aurais du arrêter mes études ».

Je lui demande pourquoi ses parents voulaient tant qu'il devienne sumotori, tandis que la réceptionniste, ayant noté ma tasse de café toujours intacte, la remplace par une tasse de thé vert.

« Mon père adorait le sumo », dit-il, sans plus de précisions.

Il intégra la Hanakago heya, toute proche du lieu où il établirait plus tard sa propre heya, Hanaregoma. La vie en heya, me dit-il, était en fait plus facile que celle d'un athlète universitaire. A l'université, ses séances de judo étaient tout aussi intensives que l'entraînement du sumo, et il lui fallait passer autant de temps à s'occuper de son senpai et à faire la cuisine dans la villa collective de l'équipe de judo. Mais comme étudiant, s'y ajoutait le travail scolaire; comme sumotori, il passait ses après-midi à roupiller et ses soirées à se détendre avec les autres lutteurs.

Il passa douze ans au sein de la heya, finissant par atteindre le grade d'ozeki, un ozeki très populaire apparemment. A chaque fois que je dis à des gens ici que j'ai séjourné dans la heya dirigée par l'ancien ozeki Kaiketsu, il savent parfaitement de qui je parle et sont très impressionnés, pour autant qu'ils soient suffisamment âgés pour avoir suivi le sumo quand celui-ci était en activité dans les années 70.

lorsqu'il était Kaiketsu, l'oyakata était réputé comme un lutteur solide et très travailleur, m'apprit plus tard David Shapiro, un commentateur du sumo anglophone qui officier pour la télévision publique japonaise, et l'auteur d'un ouvrage sur le sumo. Kaiketsu perdit son grade d'ozeki après avoir connu la défaite dans toute une série de matches où il combattit blessé, mais demeure l'un des rares lutteurs à avoir pu reconquérir ce grade après l'avoir perdu. « Il s'est rendu célèbre pour avoir déclaré que d'abandonner sur blessure, c'est pareil que de faire exprès de perdre un match. La nation toute entière a adoré ».

a la fin de chaque tournoi, une série de récompenses sont décernées aux lutteurs de chaque divisions pour le plus de victoires, les meilleures techniques, etc. Kaiketsu emporta le kanto-sho, récompensant la combativité, sept fois au cours de sa carrière. J'ignore s'il s'agit d'un record, mais je n'ai pu trouver de lutteurs en ayant remporté plus.

En 1979, âgé de 31 ans, Kaiketsu prit sa retraite de lutteur et devint Hanaregoma oyakata. Il fonda sa propre heya deux ans après. Tous les oyakata ne possèdent pas leur propre heya – certains aident à l'entraînement des autres heyas ou ont des fonctions au sein de la NSK – mais tous les maîtres des heyas doivent être oyakata.

Je lui demande pourquoi il voulait avoir sa propre heya, et il me regarde avec l'air de penser que c'est la question la plus naïve possible. « Je savais, quand j'ai arrêté le sumo, que je voulais enseigner aux plus jeunes. C'est un sentiment très naturel, tout le monde l'a. Et même si vous ne pouvez fonder votre propre heya, vous voulez rester impliqué dans le sumo ».

l'Oyakata a même sorti un yokozuna des rangs de sa heya. Je l'ignorais à ce moment, mais l'un des oyakata venu à la heya en compagnie de ses lutteurs quelques semaines plus tôt – le plus enrobé, dont je disais qu'il avait une tête de voyou – est l'ancien yokozuna Onokuni, qui combattit dans les années 80.

Shapiro m'a dit plus tard que l'oyakata est maintenant réputé pour sa compétence en tant que chef du bureau des relations publiques de la NSK. Ce qui n'est pas sans inconvénients, car les pontes de l'association n'ont pas très envie de lui confier pour l'instant un poste moins prenant. « Il est si occupé qu'il lui est difficile de recruter et d'entraîner ses lutteurs comme il l'entend », me dit Shapiro.

Je demande également à l'oyakata comment il effectue son recrutement. Il me dit qu'il a des amis sur tout le pays qui lui donnent des noms pour sa heya. Il passe après au coup de fil ou à la visite

« Je recherche des gars de grande taille; je regarde s'ils ont déjà pratiqué des sports. Mais même s'ils n'en ont jamais fait, s'ils veulent vraiment faire du sumo, c'est bon pour moi. La chose la plus importante est qu'ils aient beaucoup de cœur à l'ouvrage ». malgré sa propre expérience – et en l'occurrence, également celle d'Haruki – l'oyakata me dit qu'il n'est pas intéressé par des lutteurs qui subissent des pressions parentales pour devenir sumotori. « Le choix doit venir d'eux mêmes ».

mais quand l'oyakata trouve quelqu'un qu'il veut vraiment voir rejoindre la heya, il y passe parfois des années, comme ce fut le cas de Kazuya, à essayer de le convaincre, me dit-il. « Je lui parle de l'existence du sumotori, comment elle le rendra plus fort ».

toutefois, dans le Japon d'aujourd'hui où tant d'autres voies bien plus faciles vers le succès existent, recruter de nouveaux lutteurs n'est pas chose facile. « Beaucoup de heyas, peu de gens à recruter. Tout le monde croit que la vie des sumotori est dure et épuisante, et ils savent qu'ils n'ont que peu de chances d'aller suffisamment haut pour devenir riches et célèbres ».

je me demande si la difficulté du recrutement peut varier en fonction de la situation économique. Peut-être, me dis-je, a-t-il été plus facile de trouver de nouveaux lutteurs au début de son règne d'oyakata, avant que la « bulle économique » japonaise ne montre tant d'autres voies plus faciles . Et maintenant, avec la récession économique, peut-être lui est-il à nouveau plus facile de recruter.

Mais ce n'est pas le cas « Ca n'a jamais été facile. C'était difficile à l'époque. Ca l'est encore aujourd'hui ».

Cela fait un peu moins de trente minutes que je parle à l'oyakata à ce moment, et j'ai déjà quasiment fait le tour de mes questions. L'oyakata, je le constate, est un homme peu bavard. Il réponds à mes questions de manière succincte, mais pas toujours de manière satisfaisante. Je ne suis toujours pas bien sûr de la façon dont il convainct les lutteurs à rejoindre sa heya, par exemple. Je lui ai égtalement demandé ce que ses lutterus font après leur retraite sportive. « Certains bossent en etreprises. D'autres créeent leur enttreprise » est sa réponse.

L'oyakata n'est pas cachottier, mais à coup sûr il est fumeux.

Je me creuse les méninges pour trouver des questions qui l'amèeraient à parler un peu plus. « Qu'est-ce que vous ressentez quand un de vos lutteurs gagne un match ? »
« « Quand quelqu'un a du succès, c'est merveilleux. Quand la défaite est au rendez-vous, c'est triste ».
« Et quand un de vos hommes progresse dans le banzuke ? », risqué-je, pour essayer de le pousser un peu.
« Je suis toujours heureux quand ils reçoivent une promotion. Mais je suis inquiet quand ils sont sur le déclin ».

Je décide de faire une dernière tentative pour l'amener à parler. « Comment sentez-vous vos lutteurs à l'approche du tournoi à venir ? »
« Tout le monde a eu de longues vacances », me répond-t-il. Les lutteurs viennent d'achever leur permission de 4 jours du Nouvel An. « J'ai vraiment le sentiment que personne ne travaille assez dur ».

je me rends compte que je n'en tirerai pas grand chose de plus, et décide d'arrêter là l'interview. Il ne me reste que deux questions que j'ai gardées pour la fin.
« Une dernière chose. Je me demandais quel pouvait être le changement d'ambiance dans la heya durant le tournoi. Croyez vous que je pourrai revenir quelques nuits de plus après le début de celui-ci ? ».
« Bien sûr » me répond-il avec aussi peu de réticence que si je lui avait demandé dix balles. « Il faut bien que vous compreniez une chose : il n'y a pas deux heya qui se ressemblent. La nôtre fait partie des petites – je veux dire, même l'immeuble est petit – et vous ne devez pas partir avec le sentiment que toutes les heya sont comme celà ».
« Bien pris. J'apprécie votre sollicitude ». Ca fait deux jours que je me mords les doigts d'avoir quitté la heya avant le début du tournoi et suis très content d'avoir l'occasion d'y retourner. Mais il me reste encore une dernière question à lui poser ».
« Voyez vous, il me reste une toute dernière question, si ça ne pose pas de problème ».
Hochement de tête.
« Comment vos enfants vous appèlent-ils ? »
« Pardon ? » répond-il, perplexe.
« C'est assez intéressant pour moi de constater que vous êtes né sous un nom, avez lutté sous un autre et êtes désormais connu comme l'oyakata Hanaregoma. Donc je me demandais par quel nom vos enfants vous appèlent ».

« Ils m'appèlent Papa »

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