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mercredi, janvier 26, 2005

Retour à la heya

Je rentre directement du bureau de l'oyakata vers la heya. J'ai encore pas mal de questions que je veux poser aux lutteurs.

La motivation qui pousse les lutteurs à progresser dans le banzuke est évidente : comme je l'ai déjà écrit, une promotion s'accompagne de sensibles améliorations dans la qualité de leur vie. Mais ce qui à pu les pousser à rejoindre la heya à leurs tout débuts reste assez mystérieux pour moi. Je leur ai demandé, bien entendu, mais je n'ai jamais pu recevoir de réponse qui me convienne. Ils disent en général quelque chose dans le genre de « J'ai été recruté », et s'arrêtent là.

En dépit de la chaleur et de l'ouverture d'esprit dont les lutteurs ont fait preuve à mon égard, je n'ai pas pu aller réellement gratter sous la surface pour comprendre leurs motivations profondes. L'une des raisons en est, bien sûr, la barrière de la langue qui ruine notre communication. Ces gars parlent un sabir d'argot « jeune », de dialectes régionaux et de langage sumo qui me laisse perplexe quant à ce qu'ils peuvent se dire entre eux, et même parfois sur ce qu'ils me disent directement à mon attention.

Il y a aussi les énormes différences qui existent entre eux et moi. Bien sûr, il y a l'aspect physique, qui me fait parfois me sentir comme un alevin au milieu de poissons-chats, en particulier quand je revêt un mawashi et monte sur le dohyo. S'y ajoute le choc de cultures général, entre l'Américain que je suis et eux, tous Japonais – à l'exception d'un Mongol.

Il y a aussi les différences sociales. L'oyakata, quand je suis passé le voir, a insisté sur le fait que les lutteurs proviennent de toutes les couches sociales et éducatives. Et de fait, Kitamura a rejoint la heya après avoir fait du sumo universitaire dans une faculté très cotée et chère. Mais la plupart des gars dont je parle viennent de milieux ouvriers très différents de mes origines de classe (très) moyenne et studieuse.

Ces gars sont également des athlètes sérieux voire, pour certains, accomplis. Pour ma part, je n'ai pas eu une activité sportive depuis les matches de base-ball et les parties de foot en salle chez les scouts que je jouais avant qu'on ne fasse plus appel à moi – sans doute étaient-ils lassés de perdre par ma faute.

Et les lutteurs s'engagent sur plus de dix ans au profit de la heya, quand moi j'ai peur de m'engager pour un abonnement à Télé-Z.

Bien sûr, étant au sein de la heya pour écrire sur les lutteurs, leur sport et leur vie, il est de ma responsabilité d'aller au-delà de ces différences et de trouver la façon de les comprendre au mieux. J'ai d'abord pensé que de passer un maximum de temps avec eux me permettrait d'accéder à un certain niveau de confiance et d'y arriver, et dans une certaine mesure cela a porté ses fruits. Mais d'un sens, cela a été également contre-productif.

La technique habituelle d'un reporter est d'arriver comme une fleur dans ma vie des gens avec un carnet de notes et un temps limité, et de leur poser des questions. Si vous n'obtenez pas les réponses qui vous conviennent, vous les reposez en étant plus insistant, plus précis. En fait, vous continuez à poser des questions jusqu'à ce que vous obteniez une réponse satisfaisante, et si ça doit vous conduire à être en froid avec votre interlocuteur, ben tant pis. Après tout, vous recherchez des citations et des impressions, pas des nouveaux amis.

Mais dans la heya, bien que mon carnet de notes ait toujours été à portée et que j'y ais écrit constamment, je n'ai pas agi comme si j'étais là pour l'après midi. La collecte d'informations est surtout faite au cours de conversations pendant le dîner ou les pubs. Ce sont des conversations amicales plus que des interviews proprement dites. Et si je demande pendant le repas à un gars comment il est devenu sumotori et qu'il me répond « J'ai été recruté », je ne me sens pas en position de lui répondre « Allez, vraiment, pourquoi ? Pourquoi t'es tu laissé recruter ? ». Ce ne serait pas très amical.

Le meilleur moyen de parvenir à cette fin, me suis-je dit, serait d'attendre d'avoir quitté la heya puis de revenir pour une brève visite dans le seul but d'interroger les lutteurs sur leurs conditions d'entrée dans le sumo et ce qu'ils pensent de leur style de vie. Et donc, après ma visite à l'oyakata, je retourne à la heya pour m'asseoir avec quelques gars. C'est là que je recueille ce qui constitue mon vivier d'informations pour les « portraits de sumotori ».

APRÈS: Les brutalités dans le sumo