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vendredi, décembre 24, 2004

Lendemain de shiko

Je me réveille mardi matin emmitouflé dans les couvertures de mon agréble futon, béat et satisfait. Il ne me faut que peu de temps, toutefois, pour me rappeler où je suis, et qu’il va me falloir m’extirper de ce douillet cocon pour passer quelques heures avec rien d’autre sur le dos qu’un sous-vêtement de tissu rêche. Je traîne donc sous mes couvertures jusqu’à ce que mes camarades de chambrée commencent eux-mêmes à se lever et descendre en bas. Je finis par balancer mes couvertures et me lève pour ranger mon couchage.

Mais aussitôt que je suis sur mes jambes, je m’écroule presque. Clairement, j’en ai trop fait sur les shikos hier. Jamais aucune séance de musculation ne m’a fait ressentir ce que j’ai aujourd’hui : ni mes premières courses en montagne, ni le ski, ou encore le snowboard. Des genoux au bassin, je ne suis plus que douleur. Douleur pour marcher. Douleur pour rester debout. Douleur pour s’asseoir.

Rester couché, toutefois, me semble pas trop inconfortable, et je rampe donc jusqu’à mon lit en me demandant si je dois essayer d’échapper à la séance d’entraînement ce matin. D’un côté, je n’ai pas envie d’être pris pour un glandeur. Le monde du sumo, pour ce que je peux en dire, exècre ce genre de choses. Et j’ai peur que l’Oyakata, qui a fait montre de tant d’hospitalité, ne pense que je n’ai pas été sincère avec lui, et que je suis prêt à faire fi de mon enthousiasme à me lever tôt, à sauter le petit déjeuner et à mettre un mawashi au premier petit bobo.

De l’autre côté, je crains que, même si j’arrive à enfiler mon mawashi et à atteindre la salle d’entraînement, je ne pourrai sans doute pas dépasser la première série de shikos. Ce qui voudrait dire que j’aurais embêté quelqu’un pour m’aider à mettre mon mawashi, pour m’éclipser du dohyo avant même que les combats n’aient commencé.

Finalement, je décide de faire quelques shikos dans la chambre même, pour pouvoir me tester. Au pied de mon lit, j’écarte les jambes, frappe le sol du pied droit, écarte les jambes à nouveau, puis pied gauche. Chaque mouvement me donne une sensation tant douloureuse qu’étrange, mes jambes ayant la vivacité de nouilles trop cuites. Murayoshi, encore dans son lit, m’aperçoit en train de m’escrimer douloureusement sur mes shikos, seul dans l’obscurité, et me dit : « Qu’est-ce que tu fais ? »
« Mes jambes me font mal », lui dis-je, les dents serrées.
« Si tes jambes te font mal, c’est pas la peine de mettre un mawashi » me dit-il, ce qui est exactement ce que je voulais entendre.
Je rampe à nouveau vers mon lit pour tuer le temps et me préparer mentalement à passer les prochaines heures dans la salle commune, mes jambes endolories devant être croisées.

Quand je finis par descendre, Murayoshi, que je croise dans le couloir, me dit « n’oublies pas de remercier le Kashira pour le dîner ».
Le Kashira se trouve dans la salle d’entraînement assis à sa place habituelle sur l’avancée. Quand je le remercie pour le barbeucue coréen de la veille, il me dit : « alors comme ça, tes jambes te font mal ? »
« elles me font mal, oui ». Petit sourire en coin de sa part. Quelques autres lutteurs, entendant que je ne les accompagne pas à la séance parce que j’ai mal aux jambes, rient doucement. Lorsque l’Oyakata descend enfin de ses appartements quelque peu après le début de l’entraînement, il me voit dans la salle commune, en survêtements.
« Ses jambes lui font mal » explique le Kashira avec un sourire, ce qui provoque également l’hilarité de l’Oyakata.

APRÈS: Dohyo-Tsukuri