invisible hit counter

mardi, décembre 28, 2004

Le Banzuke

43soringbanzuke

Jeudi, le jour où le gyoji dégarni vient sanctifier le dohyo, arrive également le banzuke. Le banzuke – le classement du sumo – liste tous les membres de l’univers du sumo, des lutteurs aux yobidashi, tous placés selon leur rang. Le nouveau banzuke arrive généralement deux semaines avant le début de chaque tournoi bimensuel de sumo – à l’exception de celui précédant le tournoi de janvier, qui arrive une semaine plus tôt encore pour ne pas interférer avec le vacances du nouvel An qui paralysent quasiment le pays pendant la première semaine de l’année.

La feuille de banzuke réarrange le classement de tous les lutteurs du pays en prenant en compte leurs performances dans le tournoi précédent. C’est l’Association de Sumo qui les édite, mais les heyas elles-mêmes sont responsables de leur distribution. Jeudi, tôt le matin, l’oyakata est parti pour le quartier général de l’Association de Sumo, et revient avec quelques caisses de feuilles. Au moment où je me lève, les lutteurs – qui ont un jour sans entraînement pour pouvoir s’occuper des banzuke pour leur distribution – sont déjà en plein travail.

Ils se sont répartis en une sorte de chaîne de montage sur le sol de la salle commune. Le processus commence avec Kitamura, qui en effectue la répartition. Il distribue alors des paquets de feuilles sur toute la chaîne, où d’autres lutteurs les tamponnent du sceau de la heya. Les travail se fait par binômes, l’un des lutteurs tournant les pages et l’autre les tamponnant. Les feuilles sont alors passées à un autre binôme, qui les marque du sceau du Tournoi de Janvier.

Dernière étape pour les feuilles, les derniers lutteurs qui les rassemblent pour les envoyer aux mécènes et supporters, et à toute personnes qui en a commandé un exemplaire. Quelques lutteurs plient des feuilles en rectangles propres avant de les glisser dans de enveloppes pour ceux qui ont commandé des feuilles individuelles à 50 Ұ (0,5 €) l’exemplaire. Murayoshi, lui, range dans de plus grosses enveloppes des paquets de 5, 10 et 25 feuilles pendant que d’autres lutteurs en roulent plusieurs centaines à la fois dans des colis cylindriques pour les commandes en gros à 2500 Ұ (environ 20 €) les cent feuilles. Avant le dîner, ce sont 3000 banzuke qui sont sous enveloppe. Le travail se poursuit le reste de la soirée, cette fois ci pour des banzuke que les lutteurs s’achètent eux-même pour envoyer à leurs amis, familles ou fans.

Je m’assied près de Tatsuya, qui s’occupe de banzuke individuels, pour regarder par dessus son épaule cette grande feuille couleur crème, recouverte d’épais caractères calligraphiés. Elle est séparée en cinq lignes qui donnent un aspect presque cosmologique à l’univers du sumo. Les lutteurs les mieux classés sont mentionnés dans les caractères les plus gros sur la ligne du haut, les caractères se faisant de plus en plus petits à mesure que le regard descend dans le banzuke. La ligne du bas liste les noms des oyakata, kashira, yobidashi et autres personnes associées au monde du sumo, chacun de ces groupes ayant son propres classement. Ces lignes sont coupées en deux par leur centre par une colonne étroite qui coupe toute la feuille, dans laquelle on trouve des informations sur le tournoi à venir et les noms des gyoji. Les noms se trouvant à droite appartiennent à la division ouest, ceux de gauche, à celle de l’est. Ces démarcations sont parfaitement arbitraires et n’ont absolument aucun rapport avec les origines géographiques des lutteurs ou de leurs heyas.

Tatsuya met le doigt sur le caractère le plus gros de la ligne supérieure. « C’est le Yokozuna : Asashoryu ».

Asashoryu est actuellement le seul et unique Yokozuna, ou Grand Champion. Un sondage effectué au Japon l’a récemment placé en tête des sportifs non-japonais préférés. Il vient de Mongolie, pays très bien représenté dans l’afflux récent de lutteurs étrangers de haut vol, parmi lesquels on retrouve également un Russe, un Bulgare et un Géorgien. Il y a toujours eu des pincées de lutteurs étrangers dans le sumo, mais ils ne connurent jamais vraiment de succès avant la brochette de lutteurs hawaïens qui débuta dans les années 70 avec Takamiyama, premier étranger à remporter un tournoi, et s’est achevée il y a quelques années avec l’énorme Akebono, premier Yokozuna étranger du sumo.

Les lutteurs de la ligne du haut du banzuke appartiennent tous à la division makuuchi, me dit Tatsuya, qui inclut dans ses plus hauts grades les yokozunas, ozekis, sekiwake et komosubi. Il me montre quels lutteurs sont les ozeki, un rang en dessous du yokozuna, dont fait partie le lutteur Kaio. Kaio est souvent décrit comme le plus grand espoir pour les japonais d’avoir un yokozuna national, mais à chaque fois que le titre est à portée de sa main, il lui glisse entre les doigts.

Dans la deuxième ligne, où les lutteurs de rang subalterne commencent à être listés, Tatsuya me montre le nom du Sekitori, Ishide. Il est imprimé dans des caractères qui font à peine le quart du volume de ceux de la ligne précédente. Enfin, Tatsuya me montre son propre nom sur la ligne la plus basse des lutteurs, qui incluse les jonidan dont il fait partie. Son nom est imprimé en caractères si petits qu’il doit écarquiller les yeux et le chercher longtemps parmi les autres noms.

« C’est là que je veux être » me dit-il, en montrant la ligne du haut.

APRÈS: De l’importance du statut sur la vie quotidienne