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lundi, janvier 03, 2005

Mawashi II : Le Retour

12practice2

Samedi, veille de Noël. Je suis en train de regarder la télévision en compagnie de quelques jeunes lutteurs, dans la salle commune. Sur le petit écran, un duo de comiques nommés ‘99’ est en train d’emmener Nakai, membre du groupe pop SMAP, en tournée au Japon, pour lui faire des tours ou le placer dans des situations comiques à chaque arrêt.

Un moment donné, ils l’emmènent dans une station thermale, et l’installent avec quatre magnifiques poupées qui lui servent du saké dans un bain chaud. Puis les comédiens s’éclipsent, et l’on constate que la salle de bains est en fait montée sur des pilotis, et qu’une sorte de piste d’envol part d’en dessous, se terminant par une boucle. Quand le compteur affiché en bas de l’écran marque enfin zéro, le bas de la pièce s’ouvre, expulsant la popstar sur la piste dans un torrent d’eau chaude. La boucle de fin l’envoie valdinguer dans les airs. Une fois revenu au sol, il s’enfuit à toutes jambes, l’air hagard.

Eclat de rire général dans la pièce, devant la scène repassée plusieurs fois au ralenti et sous différents angles, lorsque l’oyakata fait son apparition par la porte coulissante de devant, que seul lui-même et quelques membres éminents de la petite communauté de la heya sont habilités à utiliser (les lutteurs et moi-même pénétrons dans la pièce par une plus modeste porte battante sur le côté de la salle).

Tout le monde dans la pièce se lève et salue l’oyakata, d’un « Otsukariandegozaimasu », et j’en fais donc de même. L’oyakata demande aux lutteurs d’aller lui chercher quelque chose dans sa voiture, et Tatsuya et Ishikawa s’y collent.

Puis il remarque enfin le sac en plastique que Mitsui vient de ramener de l’épicerie, et qui repose sur son matelas. « Qu’est-ce que c’est » demande-t-il.

« A manger » répond Mitsui avec déférence, provoquant des rires sous cape de la part des autres lutteurs. En effet, le sac déborde de trucs à grignoter : des bouteilles de soda aux pommes ou aux raisins, des chips de riz, des barres chocolatées…

Moue de désapprobation de l’oyakata. « Et ça, c’est quoi ? » demande-t-il, ayant remarqué le lecteur de DVD de Mitsui, qu’il entropose dans son coffre.
« Un appareil », dit-il, provoquant des gloussements tout autour.
« Quel genre d’appareil ? » demande, agacé, l’oyakata.
« Un lecteur de DVD ». Rires encore, cette fois bien forts.

L’oyakata fait la moue.

« C’est aussi vous qui avez mangé cette soupe instantanée ? » demande-t-il, montrant le réchaud posé à côté du matelas.
« Non, en fait c’est un Bolino ». Cette fois, les lutteurs partent dans un éclat de rire véritablement hystérique.

L’oyakata, qui maintenant a lui aussi un (petit) sourire aux lèvres, s’agenouille devant le sac de Mitsui et vérifie un temps les articles s’y trouvant. Puis il se lève et va rejoindre ses appartements. Je le rattrape au pied des escaliers.

« Oyakata », lui dis-je « je voulais vous demander. Pas mal de lutteurs viennent à l’entraînement chaque matin maintenant, et il n’y a plus beaucoup de place disponible. Mais est-ce que ça dérangerait si je venais quand même ? »
« Bien sûr que non » me dit-il, ce qui est la réponse que je voulais entendre. Je commençais à avoir un sentiment d’inaccompli d’avoir passé si peu de temps en mawashi, et je suis donc heureux d’avoir une autre occasion de m’entraîner avec eux. Je ne suis pas tout à fait sûr que cela soit bien utile à ce stade, ayant sans doute amassé toutes les impressions que je voulais recueillir sur le fait de se trouver près d’un dohyo en mawashi, mais je sens qu’il faut que je le fasse, au moins encore une fois. Après tout, quand je suis arrivé ici, je pensais que je porterais un mawashi tous les jours.

J’imaginais que le jour suivant, dimanche, serait chômé par les lutteurs et que j’aurais la possibilité de m’entraîner lundi. Quelle n’est pas ma surprise, le dimanche à mon réveil, de voir que le lutteur qui se coupe les ongles de pieds et me regarde, près du lit de Murayoshi, n’est pas Murayoshi. C’est Akiyama, un lutteur d’une autre heya, qui a sur l’épaule une bosse ressemblant à une demi balle de tennis, produit d’années de choc de tête de ses adversaires. Je m’étonne qu’il soit là un jour de week-end.

« Vous vous entraînez aujourd’hui ? », ce à quoi il me répond par l’affirmative. « Mince, je pensais que vous aviez votre dimanche ». J’ai tort. Avec les festivités des vacances du Nouvel An qui approchent et le Tournoi de Janvier qui se pointe à l’horizon, il n’est maintenant plus question de jour de repos.

Je suis quelque peu déçu, car j’espérais profiter de cette journée pour faire un peu mieux connaissance avec certains lutteurs. Je ne pratique pas d’interviews très formelles ; en fait, je papote avec eux, puis me précipite pour aller en retranscrire le contenu dans mon calepin dès que c’est fini. Je ne pense pas les trahir car je le fais ouvertement. Ils sont habitués à ce que j’interrompe nos conversations pour aller scribouiller sur mon calepin.

En effet, mes échanges avec les lutteurs ont été plus informels qu’autre chose, car je n’ai pas franchement envie de les pousser dans leurs retranchements quand il s’agit d’eux même. Mais je m’imaginais que je pourrais profiter de leurs moments de relaxation dès qu’il auraient un peu de temps libre. Il est clair que ce ne va pas être les cas aujourd’hui.

De plus, après avoir obtenu l’accord de l’oyakata de rejoindre l’entraînement, je m’imaginais le faire à la première occasion. Mais ayant dormi au-delà de la limite raisonnable au-delà de laquelle il m’était encore possible de les rejoindre, j’ai aussi laissé passer cette chance.

Je suis donc extrêmement déterminé à m’entraîner lundi. Avant de m’endormir dimanche soir, je confie à Murayoshi que je me joindrai à eux le lendemain et lui demande à quelle heure ils commenceront.
« 5 heures, mais tu peux commencer vers 6h30 ». Ce qui me convient parfaitement. « Quand tu te réveilleras, trouves quelqu’un pour t’aider à enfiler le mawashi ».

Le lendemain matin, j’émerge vers 4h30 au son des murmures des lutteurs, et me réjouis de constater sur mon réveil que je peux encore dormir quelques heures. Je me réveille encore une ou deux fois avant d’être complètement en éveil lorsque j’entends Moriyasu et Saita sortir, et constate qu’il est 6h20. En tant que lutteurs bien classés, ils sont autorisés à débuter l’entraînement à cette heure tardive. Et n’ayant pas d’implication particulière dans la heya, c’est aussi mon cas.

En bas, Fuchita m’aide à enfiler un mawashi. Comme il est en train de me l’enrouler autour de la taille, Ishikawa passe à côté et lui grommelle « Il ne devrait pas s’entraîner aujourd’hui ».

L’atmosphère dans la salle d’entraînement est radicalement différente de la première séance à laquelle j’avais participé. A une semaine du tournoi de Janvier, les séances deviennent bien plus longues, et bien plus brutales. Au cours d’un exercice, Hiroki perd l’équilibre sur le rebord du dohyo et est balancé par un lutteur d’une autre heya qu’il était sur le point de vaincre. Murayoshi l’agonit d’injures, et s’avançant vers lui, lui administre une énorme gifle sur la cuisse. Puis, continuant à crier, il le refrappe à plusieurs reprises, le son des claques résonnant à travers toute la pièce. Hiroki ne bouge pas, encaissant les coups et s’excusant d’avoir perdu.

Les séances d’entraînement ayant atteint ce degré d’intensité et de brutalité, personne ne semble d’humeur à s’occuper de moi en ce moment. Personne ne jette un œil pour vérifier si je fais mes shikos, et si je les fais correctement. La dernière fois, Murayoshi était aux petits soins pour moi, redressant mon dos pour s’assurer que j’avais une bonne position, me demandant si j’avais froid. La seule fois où l’on s’inquiète pour moi cette fois est quand le sekitori envoie le Mongol de l’autre heya valdinguer hors du dohyo dans ma direction, et que je me retrouve coincé brièvement contre le mur, recouvert de sa poussière et de sa sueur. Murayoshi me repousse durement sur le côté, comme un enfant qui a fait des bêtises, et me place à un endroit moins risqué.

Pas l’ombre d’une chance de s’entraîner pour moi ce matin, où même d’essayer de faire une séance de « polisseuse » sur le dohyo. Je n’ai pas non plus à compter mes cinquante shikos, comme la dernière fois – il n’y a même pas assez de place autour du dohyo, je dois les faire en dehors. En fait, les shikos sont tout ce que je peux faire ce matin pour rester chaud, alors même que je me sens un peu idiot sur l’instant.

Cette situation me permet malgré tout de me fredonner une petite chanson de ma composition :

Si tu te gèles les cacahuètes,
Et que malade tu vas tomber,
Il te faut plier tes gambettes,
Et aux shikos t’abandonner,

Simplement frapper la jambe droite,
Et alors au sol se pencher,
Simplement frapper la jambe gauche,
Encore et encore continuer

Du Pays Basque jusqu’au Ch’Nord,
Les shikos c’est vraiment trop fort.

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