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mercredi, janvier 19, 2005

Une après-midi à Ryogoku

Une fois Usuda et le lutteur qu'il pourchasse disparus, je retourne vers le Kokugikan et m'engouffre dans le musée du sumo qui se trouve au sous-sol. Le musée est plus petit que ce à quoi je m'attendais : une unique pièce, avec des objets exposés le long du mur et une vitrine coupant la salle en deux.

Les objets exposés sont rangés dans un ordre chronologique, pour démontrer la persistance du sumo à travers les époques. Les premiers objets sont des copies de manuscrits des Kojiki, les chroniques du 18° siècle qui retracent les mythes fondateurs du Japon, et le Nihon Shoki, apparu quelques années après ce dernier, et donne la liste des premières dynasties du pays. Ces deux écrits furent rassemblés alors que le clan Yamato consolidait sa domination sur la plus grande partie du Japon central et occidental; les chroniques contiennent un récit qui légitime le contrôle naissant des Yamato sur la cour impériale, basé sur le modèle chinois.

Je ne puis lire les manuscrits exposés, mais remarque que certains passages en sont soulignés. J'imagine qu'ils doivent être ceux qui traitent des combats légendaires entre les dieux antiques du Japon, souvent cités comme source du sumo. Presque chaque ouvrage que j'ai pu lire sur le sumo tient ces combats antiques comme source originelle du sumo moderne.

Ces pages côtoient dans la vitrine des haniwa, statues mortuaires du Japon de la période Kofun (3° au 6° siècle). Cette ère tient son nom du « kofun », tumulus mortuaire, qui servait à l'inhumation de la proto-aristocratie nippone, avant que la crémation ne se répande avec l'arrivée du bouddhisme. Ces tumulus étaient surmontés de haniwa, statues d'argile pratiquement à l'échelle.

Les haniwa du musée sont apparemment censées représenter des lutteurs. Bon, je ne suis pas archéologue, mais la seule chose en elles qui puisse faire penser à des lutteurs sont leurs cuisses et hanches disproportionnées. Et d'autres haniwa que j'ai pu voir – représentant des soldats ou des femmes – avaient les mêmes hanches et cuisses disproportionnées.

Sur le mur d'en face, des peintures de gars joufflus en couche culotte attendant le signal du départ, un gyoji à leurs côtés, dans ce qui a vraiment l'air d'être un combat de sumo. J'arrive à déchiffrer suffisamment de la légende pour comprendre qu'il s'agit d'un exemple de combat de l'ère Heia (8° au 12° siècle). La légende ne semble pas donner de date à laquelle la peinture a été exécutée, mais mon opinion non érudite me fait penser qu'elle est antérieure à l'ère Edo. Je croyais que le sumo avait adopté la plupart des vêtements de cérémonie du sumo contemporain représentés sur la peinture durant l'ère Edo.

La vitrine suivante renferme des photographies de lutteurs célèbres du passé, des gravures sur bois de combats de l'ère Edo, de vieux banzuke, et pas mal de kesho mawashi richement brodés. La collection du musée se termine avec une file de portraits de chacun des 68 lutteurs qui ont atteint le rang de yokozuna ces quatre derniers siècles. Les seize premiers sont sur support bois; les autres sont pour la plupart des photographies, avec quelques peintures « photographiques » mélangées. Je ne reconnais que les quelques derniers : Akebono, les frères Takanohana et Wakanohana, le deuxième Hawaïen, né Samoan, Musashimaru et Asashoryu.

En fait, le rang de yokozuna n'existait pas avant la fin du 19° siècle quand la distinction fut accordée à des ozeki particulièrement talentueux. Les 1( lutteurs représentés sur le mur qui étaient en activité avant cette période se sont vu accorder cette distinction à titre posthume; les deux premiers sont des lutteurs légendaires dont la plupart des érudits du sumo considèrent qu'ils n'ont jamais réellement existé.

Après avoir jeté un oeil à ces portraits, je quitte le musée pour trouver un endroit où manger. Etant le centre de l'univers du sumo, Ryogoku fourmille de restaurants de chanko-nabe; un immeuble après la gare en a à chacun de ses huit étages, sauf le cinquième où l(on trouve un « Philadelphia Motor City Soul Bar ».

mais j'ai déjà eu mon content de chanko-nabe à la heya, et j'évite donc ceux-ci pour faire le tour de la gare. Je passe devant une pâtisserie décorée d'images de sumo et prétendant vendre une sorte de gâteau sumo, et m'arrête dans une librairie pour acheter un magazine donnant les noms et stats des grands lutteurs pour le prochain tournoi. Puis je file dans un fast-food nouillistique – il y a un calendrier sumo sur le mur – et commande un bol de soupe de nouilles avec un bouillon de miso, des travers de porc et un oeuf poché.

Pendant que j'attends, je jette un oeil au magazine. J'y apprend que le grand gars au visage grêlé est un Russe qui combat sous le shikona de Roho. Le gars trapu avec la barbe de trois jours est de Géorgie est son shikona est Kokkai, ce qui signifie « Mer Noire ».

je peux également identifier les lutteurs que les journalistes interviewaient en dehors du complexe sportif. Le premier était Chiyotaikai, l'un des deux ozeki actuellement présents sur le banzuke, dont j'apprends qu'il est menacé d'être déchu de son grade en cas de contre-performance sur ce tournoi. Celui qui a disparu avec Usuda est Hakuho, un Mongol de 20 ans qui a reçu une promotion à un rang inférieur au précédent tournoi et est décrit comme l'étoile montante du monde du sumo.

Une fois mes nouilles avalées, je m'arrête au McDonald du 8° étage du complexe chanko-nabe – sans doute le seul McDonald au monde à avoir un banzuke affiché au mur. Il y a l'Internet sans fil et je veux vérifier mes e-mails. Puis je m'assieds dans un café pour attendre l'heure de mon rendez-vous avec l'oyakata.

APRÈS: Entretien avec un Oyakata