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vendredi, janvier 07, 2005

Portraits de sumotori 1

HIROKI ET TATSUYA, LES FRÈRES TAKEMURA
takemura
En dehors des quelques mois passés à être un piètre judoka au collège, Hiroki n’a jamais vraiment fait de sport, dit-il. Mais il n’a jamais vraiment eu de bonnes notes : il a du faire des cours de rattrapage estivaux en maths et sciences physiques pour avoir son brevet, et dès ses premiers mois au lycée, il était déjà en grand danger d’échec. Même ses notes en japonais, littérature et histoire, seules matières qu’il aimait, ne suffisaient à remonter sa moyenne. Il était déjà costaud, atteignant le mètre quatre vingt et pesant presque 120 kilos avant même de commencer au sein de la heya.

Son professeur de sport de l’époque, dans la préfecture de Hyogo, tout près d’Osaka, appartenait au réseau d’amis et de fans de l’oyakata, dont ce dernier se sert pour repérer de nouvelles recrues potentielles. Un jour, son professeur lui demanda s’il aimerait devenir un lutteur de sumo. Il n’avait jamais pensé devenir sumotori, mais il aimait pas mal le sport. « Pourquoi ne pas essayer ? » lui suggéra son professeur, et il se dit qu’il pouvait le faire.

Son père – charpentier sur des chantiers immobiliers – et sa mère étaient opposés à cette idée. Il avait 16 ans et ils ne voulaient pas qu’il laisse tomber l’école et quitte la maison. Mais lui et son grand-père – grand fan de sumo devant l’Eternel – s’unirent pour convaincre ses parents de le laisser rejoindre la heya.

Désormais âgé de 23 ans, il semble assez mitigé sur le destin qu’il s’est choisi. Il lui est difficile de s’entraîner tous les matins, et chaque tournoi requiert une énorme dose de motivation. La victoire est belle, me dit-il. « Mais la défaite est horrible. On peut se retrouver face à un gars énorme qui va tout simplement te balancer au sol. ».

Son destin de sumotori n’est pas tendre. Après sept ans au sein de la heya, il est toujours coincé en jonidan, le deuxième rang le plus bas. « Je veux juste progresser » me dit-il. Il lui faut emporter cinq des sept matches sur lesquels il va s’aligne ce mois-ci pour rejoindre le niveau suivant, celui des sandanme. En sandanme, il pourra porter des sandales souples, refermer son kimono avec une ceinture plus colorée, et mettre un manteau quand il sort dehors en hiver. Il pourrait même monter à l’étage dans la petite pièce que je partage avec les lutteurs les mieux classés. Mais il n’est pas très optimiste sur ses possibilités de remporter suffisamment de victoires.

Ses projets d’un avenir plus lointain sont bien plus confus que son objectif de promotion à court terme. Il ne s’est pas posé beaucoup de questions sur les conséquences de l’arrêt de ses études avant qu’il ait dépassé la vingtaine, quand il s’est enfin demandé ce qu’il pourrait bien faire le jour où il arrêterait le sumo. Ayant travaillé, plus jeune, sur des chantiers de construction durant les vacances estivales, il s’est dit qu’il pourrait toujours recommencer quand il quitterait le monde du sumo. « On ne peut pas faire grand chose au Japon sans avoir fait d’études, mais il reste toujours la construction ou les métiers manuels. Mais actuellement il n’y a pas tellement de travail dans cette branche, et quand on décroche un job, il est payé au lance-pierre ».

Son rêve est de pouvoir ouvrir un bar ; il aimerait pouvoir intégrer une école de cuisine quand il aura quitté la heya. Il me dit que l’oyakata lui a dit que de faire la cuisine pour ses camarades lutteurs, c’est pareil que d’être en école de cuisine. Mais Hiroki n’est pas franchement convaincu. « Bien sûr, on apprend les techniques. Mais on n’apprend pas grand chose sur la nourriture ».

Tatsuya, de son côté, détestait tellement les études qu’il n’est même pas allé au lycée, et a suivi son frère dans la heya. Il a commencé à penser au sumo au collège, où il a fait du judo pendant trois ans. Il se souvient de son frère rentrant à la maison pendant ses premières vacances de la heya, le visage couvert de meurtrissures et l’oreille constamment ravagée par les chocs de tête des autres lutteurs. « Jamais de ma vie je ne voudrais faire ça », se disait-il à l’époque.

Puis un week-end, Tatsuya rendit visite à son frère à Tokyo, séjournant dans la heya, où il assista à l’entraînement tous les matins. « Au début, c’était effrayant. Puis j’ai commencé à vouloir le faire ». Il a pris sa décision de rejoindre la heya après son brevet, et immédiatement cessé tout travail scolaire. Il intégra la heya en mars 2003, à l’âge de quinze ans.

Au début, il était en permanence épuisé par l’entraînement, le ménage et la cuisine qu’il lui fallait faire, et avait le mal du pays. Lui manquaient ses amis, avec qui il jouait au basket. Les filles qu’il emmenait dans les terrains vagues alentours pour allumer des feux d’artifice à la nuit tombée. « Ca créée une ambiance sympa. Les filles aiment ça ».

Mais il s’est rapidement mis à aimer l’ambiance de la heya. Rentrer dans la soirée avec une BD ou un CD et se reposer, en sachant qu’il n’avait à se soucier de rien avant l’entraînement le lendemain matin. Avoir pas mal de gens autour de lui à qui parler.

Il n’a pas de dépenses et gagne un peu d’argent. Pas assez pour économiser quoi que ce soit : juste les $700 et quelque que quelqu’un de son rang, jonidan, perçoit après un tournoi. Mais c’est assez pour s’acheter un lecteur minidisc et une Gameboy, quelques CD et tout ce qu’il veut grignoter de l’épicerie d’en face. « Je suis un sumotori. Je mange beaucoup ».

Toutefois, il en a souvent marre des insultes de ses camarades de heya, et du manque d’intimité. Et parfois il n’a pas franchement envie de se joindre à l’équipe de nettoyage du jour. « Je n’ai pas trop l’esprit collectif », me confesse-t-il.

BATTUSHIG YAGAANBAATAR, ALIAS BATTO, ALIAS WAKATORA
batto
Il y a quelques années, en Mongolie, Batto, comme le surnomment ses camarades, a vu à la télévision un reportage sur un recruteur japonais de sumo qui était dans son pays à la recherche de nouveaux lutteurs. La popularité du sumo arrivait à son apogée en Mongolie : Asashoryu venait d’être promu Yokozuna et était un héros national dans son pays d’origine.

Le père de Batto, un importateur d’automobiles, ancien pratiquant de lutte mongole – très semblable au sumo – lui suggéra qu’il devrait aller au Japon et essayer de devenir sumotori. Batto avait déjà un frère au Japon, qui vivait en balieue de Tokyo et vendait des téléphones portables, et deux frères aînés faisant des études universitaires en Angleterre.

Batto et sa famille se mirent à la recherche du recruteur qui était passé au journal. Il fut finalement choisi parmi les cinq finalistes pour l’admission dans la heya de l’oyakata et, après une série de tests médicaux et sportifs, fut déclaré vainqueur.

Batto, désormais âgé de 18 ans, a rejoint la heya en mai 2003, sans parler un traître mot de Japonais. Byabjhav, le lutteur Mongol de l’autre heya, que j’ai vu combattre le sekitori, vient souvent pour lui apprendre les ficelles du métier et lui expliquer les règles de comportement au sein de la heya. Batto l’appelle son « senpai », terme japonais pour désigner un supérieur ou un ancien. Cela implique un haut degré de respect et d’attachement.

Au début, Batto détesta vivre dans un pays dont il ne comprenait pas la langue. Il renâclait aussi devant la nourriture : le poisson est une rareté dans son pays enclavé, encore plus le poisson cru. Mais devant le manque d’occasions de parler Mongol, il finit vite par apprendre le Japonais au contact des autres lutteurs et s’habitua à la nourriture. Il évite toujours les sushi, mais aime le natto, ces germes de soja fermentés dans une sauce gluante que certains japonais ne peuvent même pas avaler.

Tout le monde dans la heya l’appelle Batto, diminutif japonais de son prénom « Battushig ». Mais lorsqu’il lutte, à l’instar des 61 étrangers du championnat, il le fait sous un nom japonais. Le sien est « Wakatora ».

Je demande à Batto ce que ça lui fait d’avoir à prendre un nom et une identité japonaises, d’adopter des comportements japonais, de rendre un culte à des dieux japonais. Il s’en fiche : « Je ne fais que suivre le mouvement et faire ce que tout le monde fait ».

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